2.02 Haut-Livradois
Ce texte est le résultat d’un agencement des choses dites par des paysagistes et leurs invités, tous embarqués dans une camionnette-voyageuse à travers l’Auvergne. Pour cet ensemble de paysages, il a été écrit à partir de tout ce qu’ils ont été capables de voir ensemble, durant l’ itinéraire n°29 des ateliers mobiles des paysages qui a été effectué le 22/05/2012.
1. SITUATION
Le Haut-Livradois, situé dans le département du Puy-de-Dôme et à l’extrémité septentrionale du département de la Haute-Loire, fait partie de la région du Livradois-Forez à l’identité géographique forte. Il est composé de vastes plateaux et de hauts sommets qui dominent, sur son versant occidental, la plaine du Livradois (7.02) . Il fait face aux monts du Forez (1.10), situés plus à l’est, de l’autre côté de la vallée de la Dore (9.08). Les paysages du Haut-Livradois s’apparentent à ceux des autres plateaux granitiques de l’Auvergne : horizons vallonnés, maisons de granite, petites parcelles de culture, prairies humides, sapinières et pinèdes… mais ils s’en distinguent par une grande dominante forestière et une organisation des lieux de vie en clairières agricoles. Seuls quelques fonds de vallées plus ou moins larges demeurent plus ouverts, pâturés ou cultivés.
Cet ensemble appartient à la famille de paysages : 2. Les montagnes boisées
Les unités de paysages qui composent cet ensemble : 2.02 A Plateau de la Chaise-Dieu / 2.02 B Plateau de Saint Germain-l’Herm / 2.02 C Plateau de Mons et de Virennes / 2.02 D Vallée de la Dolore / 2.02 E Haute vallée de la Dore / 2.02 F Vallée de la Dorette / 2.02 G Cotes du Livradois / 2.02 H Bassin de Saint Amant-Roche-Savine.
2. GRANDES COMPOSANTES DES PAYSAGES
2.1 Forêts et forêts…
2.2 Les grands boisements « historiques ».
Les boisements historiques (Bois grand, Bois noirs, Taillades, forêt de Lamandie…) marquent de leurs futaies de hêtres et de sapins les sommets de ce plateau granitique. Ils sont à l’image de l’idée que l’on se fait d’une forêt « naturelle », en opposition à une forêt plantée d’exploitation. Ces forêts sont gérées en futaie jardinée, très rare en Auvergne : essences diversifiées de feuillus et résineux, arbres d’âges différents. Le sous-bois présente des strates de végétation arbustive et herbacée. Les clairières sont nombreuses. L’exploitation est sélective pour favoriser le développement de tel ou tel sujet, souvent par coupe manuelle. Les milieux sont d’une grande richesse, notamment avec la présence de zones humides de pentes. Ces boisements ont un caractère "magique".
2.3 Les massifs forestiers du « sapin roi » et autres résineux.
2.4 Physionomie des forêts et ambiances.
2.5 Diversité mycologique et cueillette des champignons.
L’une des richesses écologiques de ces bois est d’ordre mycologique. La cueillette privée et la revente aux usines de Saint-Alyre-d’Arlanc sont des pratiques communes. Les pratiques de cueillette sont devenues rares dans le courant du 20ème siècle. Aujourd’hui réglementées, elles subsistent encore sous des formes isolées sur les plateaux forestiers d’altitude auvergnats où elles ont été durant longtemps l’une des ressources majeures, particularité de ces territoires (Haut-Livradois, Margeride…).
2.6 Une hypothèse pour expliquer le taux de boisements élevé du Haut-Livradois.
Une hypothèse pour expliquer le taux très élevé de boisements des plateaux granitiques du Haut-Livradois serait le départ des enfants d’agriculteurs du Livradois vers les pôles industriels d’Issoire, Saint-Etienne, Thiers et Clermont-Ferrand.
Il existait par ailleurs une « culture » du bois très marquée sur ce territoire pauvre où les hommes partaient l’hiver pour travailler dans les grandes forêts de l’est de la France (et notamment dans la Meuse). Ils revenaient au printemps et en été pour travailler dans leurs petites exploitations (semis, récolte des fourrages…). Cette « culture du bois » a favorisé le développement des plantations sur ce massif pendant l’exode rural.
2.7 Le jeu historique de l’homme et de la forêt : les "clairières habitées".
La diversité des clairières est liée à trois critères fondamentaux :
1. Leur taille : elle varie entre des ensembles d’une ou deux parcelles (à peine un hectare) à des centaines d’hectares pour la clairière de La Chaise-Dieu. Les grandes clairières sont souvent communicantes entre elles. Cependant lorsqu’elles sont gagnées de l’intérieur par des boisements dits en timbre-poste, l’espace y est fragmenté et les bénéfices des vues très anciennes à travers l’espace de la clairière est bloqué. C’est le cas de la clairière de La Chaise-Dieu où le système visuel complexe centré sur l’abbaye est très clairement appauvri par ces plantations.
Les très petites clairières sont isolées à l’intérieur de la "mer de sapins". Elles sont parfois visibles, mais les plus petites passent souvent inaperçues.
2. Leur position topographique : elle conditionne la façon dont elles sont perçues dans le paysage. Une clairière de versant est visible dans l’axe de la vallée, elle semble vaste, ouverte sur d’autres paysages ; une clairière plane sans correspondance visuelle apparaît comme un îlot à l’intérieur des bois, la lisière y tient un rôle particulier, elle paraît plus petite, fermée ; une clairière située en rebord de plateau offre une vue lointaine sur d’autres paysages, une clairière de bassin met en valeur le paysage de vallée, les bords de la rivière.
3. La présence d’une route, d’un village, d’un site : ces différents événements renforcent la clairière dans son rôle d’espace habité et lui donnent une grande valeur.
2.8 Gagner et regagner du terrain sur la forêt : périodicité du niveau d’occupation forestier.
2.9 Une composante souvent oubliée : l’eau.
- Les sources.
- Les étangs, exemples d’une maîtrise de l’eau datant du Moyen-âge.
- Une forme plus contemporaine de maîtrise de l’eau.
2.10 L’effet des conditions climatiques rigoureuses et de l’éloignement : un territoire d’accueil pour des initiatives alternatives.
3. MOTIFS PAYSAGERS
3.1 Les étangs et les mares.
Le Haut-Livradois est parsemé d’étangs et de mares soulignant à la fois la nature du sous-sol et l’ingéniosité historique de maîtrise de l’eau que les habitants de ce territoire ont su développer (cf. Grandes composantes des paysages).
3.2 Les clairières, un motif paysager et écologique.
L’organisation de l’occupation humaine du Haut-Livradois en clairières est le résultat d’une organisation ancienne mise en place par le monde casadéen au Moyen-âge. Dans un territoire très largement forestier, elles apparaissent comme des îlots agricoles ensoleillés accueillants pour la faune et la flore (cf. Grandes composantes des paysages).
3.3 Les motifs liés au complexe industriel de l’exploitation du bois et de son acheminement par la voie ferrée :
- La voie ferrée et les gares abandonnées.
La voie ferrée utilisée aujourd’hui par un train touristique saisonnier a une apparence de "jardin" un peu spécial traversant les forêts du haut-Livradois et qui apparaît sporadiquement aux endroits où la voie croise une activité humaine. Sa gestion plus relâchée que les voies ferrées en fonction laisse venir les plantes spontanées comme sur une lisière.
Les gares abandonnées ont été pour la plupart reconverties en plateforme d’activité. - Tas de bois.
Au bord des routes, sur des plateformes plus ou moins étroites, les tas de bois d’exploitation sont un motif paysager temporaire très récurrent comme dans le Meygal. - Les gares abandonnées aux scieries.
Sembadel-Gare est un village organisé autour d’une grande plateforme ferroviaire. Une grosse scierie occupe l’ensemble des espaces publics. La route départementale 906 traverse ce village au coeur de la forêt du Haut-Livradois. Il ressemble à un village du far-west. Le quartier de la gare va faire l’objet d’un aménagement avec deux problématiques principales : la sécurité de la départementale (trafic des grumiers) et l’exploitation des bois (scierie). - Les clairières à scieries.
Certaines petites clairières sont entièrement occupées par une scierie. C’est le cas entre Fournols et Saint-Germain-l’Herm où une clairière entourée de bois noirs est occupée par une scierie en activité. Au bord de la route, un vieux transformateur électrique est toujours en fonction. Sur une plaque de béton est inscrit le nom de la Compagnie Hydro-Electrique d’Auvergne avec un numéro de téléphone à trois chiffres. Un ensemble de signes qui génère une atmosphère particulière à ces lieux. - L’étalon spatial du grumier des scieries.
Le hameau de Marlanges, sur la commune de La Chapelle-Geneste, est un exemple de mutation de l’activité des scieries. La scierie occupe une grande partie du village avec ses entrepôts, ses bancs de scie et ses zones de dépôts. Placée le long de la voie ferrée, elle n’utilise malheureusement plus ce moyen de transport. Les zones de retournement des grumiers ont donc transformé l’entrée du village. L’étalon standard des espaces publics est devenu celui des camions.
4. EXPERIENCES ET ENDROITS SINGULIERS
4.1 La silhouette de la Chaise-Dieu vue depuis les multiples points de vue de la clairière.
La grande clairière de la Chaise-Dieu est le prototype même du système de clairières habitées du Haut-Livradois. La vue de la silhouette de l’abbaye surplombant la clairière est sans doute la vue la plus célèbre de l’ensemble de paysages.
4.2 L’ancienne route nationale 106.
La route D906 est l’ancienne route nationale 106 qui reliait Nîmes dans le Gard à Saint-Gérand-le-Puy dans l’Allier en traversant le Haut-Livradois au niveau de la Chaise-Dieu.
4.3 L’étang de Marchaud.
Seules les pierres de la digue permettent de prendre conscience de l’ancienneté de cet étang aménagé au Moyen-âge par les casadéens.
4.4 Les tourbières forestières.
Le complexe tourbeux de Virennes, constitué d’un ensemble d’habitats de zones humides, est le plus représentatif des tourbières d’altitude du Haut-Livradois.
4.5 "L’ambiance de far-west" du quartier de la gare de Sembadel-Gare.
L’activité de stockage du bois et de sciage occupe la presque totalité des espaces extérieurs du quartier de la gare. Il en résulte, au milieu d’un univers forestier d’altitude au climat rude, une ambiance permanente et caractéristique de "far-west".
4.6 "Le jardin fantastique" au plan d’eau de la Tour, le long de la RD906.
Au plan d’eau de la Tour, le long de la RD906 en descendant de La Chaise-Dieu, une sorte de "jardin fantastique" a été aménagé par un habitant. Sur des rocailles, une multitude de petits personnages en céramique est mise en scène (nains, animaux, humains…). Cela ressemble au palais idéal du facteur Cheval (Palais idéal réalisé par J.F. Cheval de 1879 à 1912 à Hauterives dans la Drôme). Cette idée de jardin utopique, sorte de paradis individuel se retrouve en plusieurs lieux du Haut-Livradois sous des formes diverses (ranch entouré d’un jardin de roues en bois, caravane isolée au milieu d’un « jardin-récup », maison de garde-barrière et son jardin basse-cour…). Ce motif paysager singulier renforce l’idée que ce territoire puisse accueillir l’ensemble des rêves de chacun.
5. CE QUI A CHANGE OU EST EN TRAIN DE CHANGER
- Les changements dans les pratiques agricoles.
En particulier, la mécanisation a eu de profondes conséquences sur les paysages : abandon progressif des terres non mécanisables ; spécialisation vers l’élevage laitier bovin aujourd’hui en forte diminution ; retour depuis 10-15 ans des ovins et des troupeaux gardés ; nécessité d’élargir les chemins pour le passage des machines ; diminution de l’entretien des haies ; forte poussée des plantations résineuses. - La dynamique d’exploitation forestière due à l’âge des boisements (maturité des plantations d’épicéas).
Cette dynamique a pour conséquences : des coupes à blanc ; des replantations ; des créations de chemin d’exploitation. Après la grande vague de plantations des années 1970, le couvert forestier semble aujourd’hui se stabiliser. Néanmoins, des évolutions concernent encore les lisières des clairières habitées et le lit des rivières où l’on note parfois une pression marquée par des jeunes plantations. Les modalités de gestion du manteau forestier affectent l’apparence des paysages. La gestion en futaie jardinée est reconnue pour sa stabilité, sa biodiversité et ses sous-bois vivants. La gestion en futaie régulière d’essences monospécifiques conditionne en revanche une variabilité et un changement assez radical du paysage lors des coupes à blanc, une accessibilité souvent difficile et un amoindrissement de la diversité biologique (cf. 2.4 Physionomie des forêts et ambiances). - L’abandon des cœurs de village.
Le phénomène se généralise notamment dans les territoires relativement éloignés des grands centres urbains comme le Haut-Livradois. Il touche par exemple le bourg de Saint-Germain-l’Herm qui a fait l’objet d’un travail d’étudiants de l’école d’architecture de Clermont-Ferrand sur ce thème avec cinq autres bourgs au sein du PNR Livradois-Forez (plaquette, Habiter autrement les centres-bourgs en massif central, l’exemple du Livradois-Forez, PNR Livradois-Forez, 2014)