1.09 Mézenc
Ce texte est le résultat d’un agencement des choses dites par des paysagistes et leurs invités, tous embarqués dans une camionnette-voyageuse à travers l’Auvergne. Pour cet ensemble de paysages, il a été écrit à partir de tout ce qu’ils ont été capables de voir ensemble, durant les itinéraires n°01 et n°08 des ateliers mobiles des paysages qui se sont tenus le 24/05/2011 et le 24/06/2011.
1. SITUATION
Cet ensemble paysager occupe la partie sud-est du département de la Haute-Loire. Il est limité à l’ouest par la vallée de la Loire, au sud et sud-est par la ligne de partage des eaux Atlantique/Méditerranée, au nord, par le Meygal, région contrastant de par son maillage bocager et ses sucs phonolitiques pointus.
Cet ensemble appartient à la famille de paysages : 1. Les hautes terres
Les unités de paysages qui composent cet ensemble : 1.09 A Monts du Mézenc / 1.09 B Plateau de Saint Front / 1.09 C Plateau des Vastres / 1.09 D Plateau de Freycenet-Latour / 1.09 E Plateau de Présailles et de Freycenet-Lacuche / 1.09 F Bassin de Lantriac.
2. GRANDES COMPOSANTES DES PAYSAGES
2.1 Un plateau d’altitude.
Les hauteurs du Mézenc sont impressionnantes par l’immensité de leurs pâturages partout piquetés de fermes isolées jusqu’à 1500 mètres d’altitude. « Nulle part dans le Massif central, on ne voit la maison permanente installée aussi haut » (Fel A., Bouet G., Atlas géographique de la France moderne, Le Massif Central, Flammarion, 1983). Dans ces pâtures, parsemées de croix en pierre (croix de Boutière, croix de Peccata…), le climat reste rude et hostile. Les températures moyennes très basses (entre 5° et 7°C) et les minima d’hiver dépassant parfois – 20°C expliquent d’une part la présence de bâtiments traditionnels longs et très bas, à la toiture de lauzes descendant presque jusqu’au sol, sans aucune ouverture du côté du nord, et d’autre part la présence de nombreux dispositifs pour l’hiver : anti-congères, plantations, garages de bord de route, piquets rouges de signalisation…2.2 Des dispositifs d’habitat pour se protéger des conditions climatiques.
En ce qui concerne l’habitat, si certaines grandes fermes subsistent çà et là, la règle était celle de petites maisons groupées au sein d’un village. On était chez soi, entre le pré et le carré de pommes de terre, abrité par un bouquet de hêtres du côté de la burle, nom que l’on donne au vent froid hivernal dans ces pays d’altitude. On hérite d’une forme d’architecture de cueillette : utilisation des pierres pour les murs de construction et des lauzes pour les toitures ; utilisation des murets et des lauzes dressées pour les aménagements privés ou publics. Il reste des toitures traditionnelles de chaumes dans certains hameaux comme à Bigorre, aux Maziaux, à La Roche, à Vachères… mais la plupart ont été remplacées par des toits de tôles.
2.3 Des sommets et des dépressions.
Le massif du Mézenc est formé par des coulées de basalte relativement planes qui lui ont donné une haute altitude de 1200 à 1300 m. De nombreux sommets aux formes diverses (dômes, coupoles, pyramides, crêtes, pointements rocheux) dominent les vastes étendues de prés en contrebas. Certains sommets sont artificiellement boisés. D’autres accueillent des landes subalpines au caractère exceptionnel du fait d’une part de la rareté de ce genre de milieu en Auvergne, l’étage subalpin étant très peu représenté, et d’autre part de la présence singulière de l’anémone printanière (Pulsatilla vernalis) que l’on ne trouve ailleurs que sur le Plomb du Cantal. Au plus creux du plateau existent quelques dépressions marécageuses, anciens cratères d’explosion (maars). Sur les sommets des appareils volcaniques, les roches affleurent. Sur les pentes, de longues processions d’éboulis se décrochent des rochers et dévalent les pentes : on les appelle des chiers, chirats ou clapiers.2.4 Narces, lacs, tourbières de pentes et sources…
La montagne est génératrice de sources. Sur les flancs des versants apparaissent des zones humides (souvent des tourbières de pente) d’où s’échappent les ruisseaux vers l’aval. Ces formes sont encore plus marquées lorsqu’il s’agit de cratères d’explosion : les narces de Chaudeyrolles, le lac d’altitude de St-Front. Après les mouillères de pente et les cirques, les vallées s’enfoncent plus vigoureusement dans le relief et rejoignent de nombreuses et profondes vallées (L’Orcival, La Gagne, Le Lignon, La Gazeille, L’Aubepin et La Veyradeyre).2.5 Un paysage de bétail étroitement dépendant de la qualité de l’herbe.
Ce qui étonne le plus sur le Mézenc, c’est le caractère d’une « région toujours en herbe ». Jadis la polyculture ou plutôt le système agro-pastoral s’étendait à ce plateau élevé. Les productions céréalières et légumières vivrières atteignaient des altitudes défiant toute logique agronomique et permettaient aux nombreux habitants des fermes de vivre dans une certaine autarcie. Des troupeaux transhumants venaient, depuis les régions méridionales, au plus chaud de l’été, profiter de l’herbe encore verte de la montagne. Les terrains de parcours, « biens communaux », étaient reliés par de vastes chemins appelés drayes. Certaines demeurent dans le paysage : la Draye de Soutrou sous le Mont d’Alambre par exemple. Depuis l’ouverture des marchés et la baisse démographique, les surfaces en cultures se sont considérablement réduites. Le plateau du Mézenc constitue aujourd’hui la région la plus herbagère du département. Plus de 90 % de la surface agricole utile est « toujours en herbe ». Cela s’explique en partie par le fait que dans les années 90, les élus du plateau et exploitants, pour sauver l’agriculture ont choisi de faire renaître le savoir-faire local autour de l’engraissement des bovins aux foins du Mézenc. Ainsi est née l’association de producteurs du « Fin gras du Mézenc » qui en 2006 a obtenu une AOC pour un terroir et une production originale vivaro-vellave. La qualité de la viande de boeuf du Mézenc est étroitement liée à la qualité de l’herbe des prairies, notamment à la présence du Fenouil des Alpes (Meum Athamanticum) localement nommé cistre. Le système de gestion des prairies par les agriculteurs favorise traditionnellement la présence d’un cortège floristique riche et particulier, qui est le secret du goût de la viande.3. MOTIFS PAYSAGERS
3.1 Les zones humides et les éboulis : deux milieux naturels récurrents.
Les zones humides (prairies humides, tourbières et mégaphorbiaies) et les éboulis, ou pierriers (« chiers »), sont les motifs paysagers naturels de l’ensemble des paysages du Mézenc. Bien que ne présentant aucune parenté écologique ou visuelle, ils ont le point commun de receler une grande diversité de plantes ou d’animaux rares (tulipes des dents du Diable, lys martagon de la Grosse Roche, séneçon leucophile des phonolites du Mézenc….).
3.2 Les « timbres postes ».
De très petits boisements de résineux, en timbres postes, ont été plantés par-ci par-là de façon sporadique au milieu des prairies en réponse à une forme de déprise agricole. S’ils se ressemblent, il faut cependant différencier deux grands types : les petits boisements en bord de routes, qui les protègent de la neige en hiver, et les petits boisements loin des routes, qui n’assurent pas de fonction particulière.
3.3 Les places de foire aux bestiaux.
L’exemple de la place pour la foire aux chevaux de Fay-sur-Lignon illustre bien ce motif. Elle a une grande dimension par rapport au bourg. Elle est entourée d’hôtels en quantité surprenante qui témoignent de l’importance de la foire qui se poursuit aujourd’hui encore chaque automne. Le cheval a étalonné le rapport entre espace construit et espace public du bourg. Le bourg est relativement isolé et les participants devaient, pour s’y rendre, affronter les conditions climatiques très rudes du plateau du Mézenc. Difficile et aléatoire de faire le trajet pour la foire en un jour.
3.4 Le frêne.
Les alignements principalement de frênes et parfois de sorbiers donnent les seuls signaux verticaux au milieu des prairies du plateau du Mézenc. Au-delà de ces alignements, le frêne est partout et accompagne la vie rurale depuis longtemps. C’est « l’arbre du monde rural » en Auvergne.
4. EXPERIENCES ET ENDROITS SINGULIERS
4.1 L’expérience singulière d’un « pays de confins ».
« Le massif du Mézenc est un autre pays de confins et d’isolement », écrivait André FEL (Fel A., Bouet G., Atlas géographique de la France moderne, Le Massif Central, Flammarion, 1983). Certains disent que « la vue s’égare en arrivant sur le plateau du Mézenc », que « l’air frais, parfois un voile de brouillard, nous signifie que nous sommes en altitude ». Et que « nous sommes arrivés à LA montagne de la Haute-Loire sur le massif du Mézenc ». L’expérience des confins se traduit non seulement dans ce que l’on voit ou ce que l’on vit, du fait de l’éloignement, de l’altitude et de la rudesse du climat, mais aussi par la manière dont les habitants y vivent et y pensent. C’est une culture encore forte qui renvoie à tout visiteur temporaire son identité d’étranger.
4.2 L’expérience du lever de soleil depuis le sommet du Mézenc.
Une forme de tradition s’est instaurée : la montée sur le Mézenc pour assister au lever du soleil. C’est au travers de ce genre de traditions locales que l’on peut saisir le prestige et l’importance symbolique d’un tel lieu pour les habitants. Augustin Berque parle d’écosymbole à ce sujet (Berque A., Du geste à la cité ; Formes urbaines et lien social au Japon, Gallimard, 1993). Les coutumes des pays d’Extrême-Orient favorisent encore beaucoup ce genre de traditions qui lient un point de vue singulier à un événement naturel comme le lever du soleil ou une floraison particulière à une époque de l’année. Cette association rend ces lieux très célèbres.
4.3 L’expérience altiligérienne de la vue sur le Mont-Mézenc.
La silhouette caractéristique du Mont Mézenc en forme de « félin couché » est visible d’une grande partie du département de la Haute-Loire. La présence ordinaire et quasi permanente de cette montagne dans le champ de vision en fait l’une des composantes naturelles les plus symboliques pour les habitants du département de la Haute-Loire. Les projets éoliens viennent s’immiscer dans ce champ de vision modifiant potentiellement la valeur et la singularité de ce rare symbole naturel collectif. C’est le cas par exemple des éoliennes de Freycenet-la-Tour, visibles depuis la RN88 traversant le plateau du Devès…
4.4 Les narces de Chaudeyrolles et le lac de Saint-Front.
« Les narces de Chaudeyrolles dominées par le Mont-Signon, un volcan phonolitique, sont bien connues pour leur tourbe qui servait encore de combustible il y a quelques décennies. Elles s’étendent au fond d’un cratère d’explosion, un maar. Ce cratère mesure 1500 mètres de diamètre environ. Sur le flanc sud-ouest, un pierrier de blocs phonolitiques descend du Suc de Faux. Un ruisseau qui prend sa source au pied du Mézenc traverse le maar ; il a creusé dans le basalte une gorge profonde qui remonte jusqu’à la cascade de Chantemerle. » (J. Passeron et M.Tort, extrait des Cahiers du Mézenc, N°3, 1991, revue entièrement consacrée à la connaissance du Massif du Mézenc).
4.5 Le site classé du Mézenc et la forêt domaniale RTM.
Le site du Mézenc est protégé par un classement au titre de la politique des sites dont la Dreal Auvergne (Direction Régionale de l’Environnement, de l’Aménagement et du Logement) est en charge. Un périmètre de protection a été établi en 1997. Il intègre Le Mont Mézenc, le Mont Alambre, le Chaulet, la Grosse Roche, les Roches du Diable, l’Aiglet… grosso-modo au-dessus de la ligne de niveau des 1400 mètres d’altitude. Les narces de Chaudeyrolles n’en font pas partie. Un cahier de gestion a été établi en 2009 dont l’objectif a été de rechercher et formuler un état d’esprit et une méthode pouvant servir de référents communs aux habitants, acteurs locaux, collectivités locales en charge de la gestion, du développement et de l’aménagement des lieux… L’ambition de ce genre de démarche, avant la rédaction d’un « cahier » qui donne des orientations et méthodes d’aménagement, est de rassembler les acteurs autour de leurs projets de manière à élaborer en commun le meilleur projet pour un tel site.
La forêt domaniale du Mézenc a un caractère historique. Dans le sens où elle recèle en partie la mémoire de l’histoire des manières employées par l’Office National des Forêts pour mettre en place et gérer au cours du temps les forêts domaniales. Le cas de la forêt du Mézenc est représentative d’une forêt dite RTM (de Restauration des Terrains de Montagne), plantées à la fin du 19ème siècle. Elle en est représentative dans la mesure où son histoire a toujours été difficile : 1. du fait des conditions climatiques peu favorables à une exploitation forestière ; 2. du fait du climat social de rapport de force entre l’Etat et les populations locales que sa plantation a pu générer à l’époque. La forêt a pris la place de pâturages pour l’élevage. Le chemin de ronde des gardes forestiers autour de l’Alambre, témoigne par le nom même du caractère difficile de cette histoire.
La présence d’une petite installation de ski (alpin et fond) aux Estables rend aujourd’hui le dialogue obligatoire entre les collectivités gestionnaires du domaine skiable et l’ONF, gestionnaire forestier. La multiplication des activités, (raquettes, chiens de traînaux, snowkyte…) nécessite une coordination avec le gestionnaire forestier pour éviter la multiplication des cheminements et des infrastructures.
4.6 La route départementale 26.
La route départementale 26, rectiligne sur une dizaine de kilomètres, est une entrée-traversée du plateau du Mézenc avec vue panoramique de très grande qualité.
4.7 Le Monastier-sur-Gazeille.
L’écrivain anglais Robert Louis Stevenson commence son Voyage avec un âne dans les Cévennes au Monastier-sur-Gazeille à la fin du 19ème siècle. Le Monastier est un archétype de « bourg en balcon » accroché à un versant de vallée. L’expérience de profonde vision en plongée que l’on peut y faire s’apparente à celle que l’on peut faire à Pradelles, installé en balcon sur la vallée de l’Allier (autre étape de Stevenson), ou bien à celle de certains hameaux au rebord du plateau du Mézenc comme Bigorre et les Maziaux à quelques kilomètres de là…
5. CE QUI A CHANGE OU EST EN TRAIN DE CHANGER
- Dynamique d’exploitations forestières pour restauration de milieux et/ou exploitation de la forêt
Le projet récent (2011) de réouverture des rives du cours du Lignon au niveau de sa source, près de la Croix de Peccata, en est un exemple. - La construction de stabulations récentes
Les stabulations de grande taille ont un impact important sur le paysage de prairies du plateau. - L’apparition de projets énergétiques divers
Les territoires en marge des espaces les plus fréquentés d’Auvergne ont fait l’objet d’une certaine pression pour l’installation des éoliennes cette dernière décennie. La zone du Mézenc, en limite départementale et régionale, a accueilli trois projets d’éoliennes à Moudeyres, à Freycenet-la-Tour et à Saint Agrève (Ardèche). Un projet de « champ » photovoltaïque, non loin des Vastres est en cours d’étude (2013). - Nouvelles MAEC (Mesures Agro Environnementales et Climatiques)
Garantes de la qualité des prairies, de leur diversité floristique et s’appuyant sur les pratiques d’élevage du "Fin Gras". - Le développement de « lotissements de montagne ».
Leur occupation réelle est parfois très relative. Le désir d’accueillir une population plus jeune ne va pas toujours de pair avec le désir de s’installer dans des endroits parfois très isolés, sur un plateau au climat rude. - Le drainage des zones humides
Le drainage des zones humides est plutôt faible sur ce secteur en comparaison à d’autres endroits. Leur sauvegarde est un enjeu important : elles assurent le maintien de la biodiversité et de la qualité paysagère mais surtout l’équilibre hydrologique de la zone.
6. VERSION IMPRIMABLE
7. PHOTOTHEQUE
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