9.03 Vallée et gorges de la Haute Loire

Ce texte est le résultat d’un agencement des choses dites par des paysagistes et leurs invités, tous embarqués dans une camionnette-voyageuse à travers l’Auvergne. Pour cet ensemble de paysages, il a été écrit à partir de tout ce qu’ils ont été capables de voir ensemble, durant les itinéraires n°1 et 2 des ateliers mobiles des paysages qui se sont tenus les 24 et 25/05/2011.

1. SITUATION

La vallée de la Haute-Loire, qui a donné son nom au département qu’elle occupe, forme une bande étroite entre le Devès, à l’ouest, le Mézenc et le Meygal à l’est, le plateau du Forez au nord-ouest et le Velay au nord-est. La Loire coule du sud vers le nord. Son bassin versant draine tout l’est du département, l’ouest étant drainé par l’Allier. L’entrée dans cet ensemble de paysages est assez nette car il se matérialise par une succession de gorges dominées par des abrupts dépassant les 200 mètres et de bassins sédimentaires occupés par l’agriculture et l’urbanisation.

Cet ensemble appartient à la famille de paysages : 9. Les vallées, gorges et défilés

Les unités de paysages qui composent cet ensemble : 9.03 A Gorges de la Haute Loire / 9.03 B Bassin de Coubon / 9.03 C Plaine de Brives-Charensac / 9.03 D Plaine de Saint Germain-Laprade (Transition avec 1.11 Meygal) / 9.03 E Plateau de Chaspinhac / 9.03 F Plaine de l’Emblavez / 9.03 G Gorges de Chamalières et Retournac / 9.03 H Bassin de Bas-en-Basset / 9.03 I Gorges d’Aurec.

2. GRANDES COMPOSANTES DES PAYSAGES

2.1 Sept ambiances-séquences pour un fleuve.

Haute vallée de la Loire en amont de Goudet
L’ambiance paysagère de la vallée de la Loire est rythmée par la dynamique du fleuve et par les possibilités qu’il a données aux hommes d’y accéder, de le contrôler ou de l’exploiter. On peut distinguer clairement sept ambiances-séquences dans sa traversée de la Haute-Loire. En amont, le fleuve est fortement encaissé et relativement peu habité. Les gorges sont dites « sauvages » (séquence 1). Les installations humaines d’origine sont associées à des rochers (château de Beaufort à Goudet, château et bourg d’Arlempdes…) qui dominent la gorge. La vallée « sauvage » s’ouvre juste en amont du bassin du Puy-en-Velay pour « se civiliser » (séquence 2). L’urbanisation y est beaucoup plus présente. De nombreux aménagements ont permis et permettent encore le contrôle de son cours (aménagements sécuritaires : seuils, digues, enrochements…), sa traversée (pont de Coubon, pont de Brives-Charensac…) et son exploitation à des fins diverses (aménagements pour la production énergétique, aménagements pour l’utilisation directe de son énergie (moulins), aménagements de loisirs, (baignades et campings…). Suite au défilé des gorges de Peyredeyre en aval de Chadrac (séquence 3), la Loire laisse place à une vaste plaine agricole qui s’étend de Lavoûte-sur-Loire jusqu’à Vorey : l’Emblavez, où le cours de la rivière se fait plus discret derrière sa ripisylve de saules et d’aulnes (séquence 4). La mosaïque agricole se compose d’un maillage bocager avec des alignements d’arbres, des cultures et des prairies. D’anciennes gravières ponctuent le cours de la rivière et quelques dépôts naturels d’argile verte font l’originalité de ce paysage. Le cours de la Loire s’encaisse à nouveau dans des gorges profondes sur une trentaine de kilomètres (séquence 5) jusqu’au bassin de Bas-en-Basset qui s’ouvre selon le même schéma qu’en amont (séquence 6). Enfin, le cours de la Loire sort du département et de la région dans un défilé de gorges vers la plaine du Forez (séquence 7).
La Loire à son arrivée dans la plaine de Brives-Charensac

2.2 Les élargissements de gorges et les petits plateaux « suspendus ».

Gorges de la Loire entre Goudet et Arlempdes
Au-delà des plaines que traverse le fleuve, quand les gorges étroites « s’élargissent » ou « s’adoucissent » un peu, dans des méandres ou sur de petits plateaux suspendus d’où la vue sur les gorges est imprenable, l’agriculture a pu se développer depuis longtemps (méandre de Lavoûte-sur-Loire, petit plateau agricole suspendu au-dessus de Salette dans les gorges sauvages près d’Arlempdes, plateau de Lachaud près du Puy-en-Velay…). La succession de ces méandres occupés et de ces plateaux suspendus forme un chapelet d’espaces de qualité, plus ou moins vastes, relativement isolés, tout le long du cours de la Loire. Leur avenir est plutôt incertain : abandon et recolonisation progressive par la forêt en ce qui concerne ceux qui sont peu accessibles, et colonisation progressive par l’urbanisation en ce qui concerne ceux qui sont proches des zones plus habitées…

2.3 Le fonctionnement autonome ancien de ces territoires de gorges.
La persistance sporadique d’une micro-pratique pastorale comme celle que l’on peut voir sur un petit pré au fond des gorges dans un méandre isolé et sauvage de la Loire en aval de Ribeyroux (un éleveur y met ses vaches une fois par an pour entretenir l’espace) permet parfois à certains de ces petits espaces, à l’écart de tout, de résister temporairement à la reconquête forestière et donne la clé d’un fonctionnement autonome ancien de ces territoires difficiles d’accès : l’agencement particulier entre le village situé sur le plateau avec ses cultures, un espace pastoral qui descend dans la vallée, un gué, un moulin et un chemin qui relie l’ensemble.

2.4 La dynamique forestière renseigne sur l’enclavement de la vallée et le faible niveau de pression des hommes.

Vallée du Langouniole sous le village de Lafarre
La dynamique de reboisement naturel est très avancée sur les versants des gorges. Les boisements naturels ont remplacé les anciens parcours d’élevage. Quand des landes des hauts de versants sont encore perceptibles, elles ne sont plus parcourues par les troupeaux. Le niveau de pression des hommes sur le milieu s’est affaibli. Dans certains secteurs, la forêt non exploitée a atteint un stade avancé d’évolution dynamique naturelle. Les pins sylvestres âgés d’une soixantaine d’années sont prêts à disparaître au profit des feuillus. En effet, dans ces espaces abandonnés par l’agriculture, la succession végétale naturelle se remet en place. Le pin sylvestre, essence de lumière, est généralement parmi les plus prompts à s’installer, en compagnie des bouleaux et des sorbiers. Plus tard, sous son couvert, d’autres essences vont prendre la relève : chêne, puis hêtre voire sapin. Dans une plaine comme celle de l’Emblavès, une végétation spontanée dominée par les saules recolonise d’anciennes gravières. Sur les coteaux qui bordent la vallée, les anciennes terrasses sont abandonnées et en cours de colonisation par une fruticée spontanée.

2.5 Le niveau de complexité des campagnes de proximité urbaine

La "belle campagne" de Malrevers (dessin A. Freytet)
La campagne de Malrevers est un exemple de campagne, légèrement en retrait du cours de la Loire, qui a atteint au fil du temps un niveau de complexité tel qu’elle constitue une forme particulière d’organisation spatiale dans cet ensemble de paysage. C’est avant tout une « belle campagne » : une petite plaine de champs de céréales et de pâturages divisés par des haies de grands arbres (chênes et frênes en majorité) qui paraissent plus âgés qu’ailleurs. De nombreux arbres fruitiers ont poussé autour des maisons et dans les champs (cerisiers, pommiers, pêchers, poiriers…). De grandes demeures bourgeoises côtoient un habitat ancien et un habitat plus récent réparti de manière relativement homogène. Sa situation proche de l’agglomération du Puy-en-Velay a largement influé sur son évolution. Son accessibilité en fait aujourd’hui un espace convoité par l’urbanisation. Le niveau de complexité de la campagne de Coubon offre des similitudes avec celle de Malrevers. Plus proche du Puy-en-Velay, elle est beaucoup plus construite. Autre campagne d’apparence complexe, celle du bassin de Polignac à côté du Puy-en-Velay. Ces "campagnes très habitées", dont l’histoire est influencée par l’urbain du fait de leur proximité d’avec la ville, illustrent une forme contemporaine de mixité entre vie urbaine et vie à la campagne.

3. MOTIFS PAYSAGERS

3.1 L’agencement entre le fleuve, le rail et la route.
Les ingénieurs du passé ont fabriqué des agencements entre le cours du fleuve, les routes et les voies ferrées qui le longent en grande partie et les ponts qui permettent de le traverser, qui sont une réponse pragmatique et esthétique aux différentes situations naturelles de gorges et de plaines et constituent une sorte de motif paysager propre à cet ensemble de paysage. Ces agencements sont des témoignages d’un savoir-faire et d’une époque de l’ingénierie (deuxième moitié du 19ème siècle et première moitié du 20ème siècle). Un des exemples les plus flagrants se trouve dans les gorges de Vorey : le village de Chambon-de-Vorey y est installé dans une combe exposée au sud. L’agencement clair entre le village, la voie ferrée qui passe en tunnel au niveau du village et le pont qui permet de traverser la Loire dans l’espace relativement étroit des gorges, illustre la capacité qu’ont eu les ingénieurs du rail, par le passé, à venir insérer les ouvrages dans des situations exiguës de toutes sortes.

3.2 Les épierrements ou les diverses constructions issues des épierrements des champs.
Les éboulis sont un motif paysager naturel de cet ensemble de paysages. Mais plus importante et plus récurrente est la présence transformée des pierres naturelles suite aux multiples épierrements de champs auxquels les habitants cette région ont procédé pour augmenter la surface agricole exploitable. Comme dans les ensembles paysagers voisins des plateaux du Mézenc, du Devès ou des monts du Meygal, les épierrements ont permis la construction de murs de pierres mais aussi de chibottes (comme dans la petite vallée du Dolaizon ou sur les versants du plateau de Mons côté Loire…). Ils ont aussi généré de simples tas de pierres qui peuvent parfois prendre une dimension impressionnante et mystérieuse (comme celui sous le village de Chabreyres, sur un versant pentu de la Gazeille exposé au sud, très visible depuis le versant opposé).

4. EXPERIENCES OU ENDROITS SINGULIERS

4.1 L’expérience singulière des gorges sauvages.
La gorge est un motif paysager auvergnat de premier ordre tant la région est sillonnée par des cours d’eau rapides qui ont creusé leur lit profondément dans la roche. Les séquences de gorges le long du cours de la Loire procurent une expérience de "sauvagerie" que leur relative inaccessibilité, la difficulté à y pénétrer (certains fragments ne sont accessibles que les pieds dans l’eau comme entre Goudet et Arlempdes), le microclimat des falaises et grosses roches, qui génèrent une atmosphère chaude et aride, contribuent largement à accentuer. L’image a priori du fleuve coulant longuement dans la plaine en aval du département, que l’on amène malgré soi en descendant dans ces gorges, accentue encore cet effet. La couleur blanche des séquences de rochers des berges, dans les gorges, très en amont, fait parfois de ces fragments de gorges perdues des espaces "fabuleux".

4.2 L’expérience singulière des rebords de plateaux et du basculement dans la vallée.
Les cours de la Loire et de ses affluents sont bordés de plateaux qui ont été creusés de manière plus ou moins tranchée pour former soit des versants doux, soit des falaises abruptes. Les endroits où il est possible d’accéder à une vision en plongée de la vallée en suivant une crête, en grimpant sur une garde et un petit sommet adjacent ou en descendant vers un petit plateau, replat intermédiaire en direction des gorges, sont légions au point de générer un mode très singulier d’appréciations multiples de la vallée. Ce mode d’appréciation se double d’une autre forme d’expérience singulière, celle dite du « basculement », connue par tous les habitants des lieux : la rupture soudaine d’une vision de plateau à celle des gorges ou de la vallée, comme celle qui a lieu à l’arrivée sur l’agglomération du Puy-en-Velay par la RN88 entre le plateau de Lachaud et le Brunelet, véritable entrée sur l’agglomération.

4.3 Deux villages abandonnés à forte valeur symbolique.
1. Le village de Colempce est un village abandonné, rescapé d’un projet de barrage avorté au niveau de Chadron ;
2. Le hameau d’importance ancienne de Saint-Quentin (point important de la carte de Cassini) est complètement tombé dans l’oubli, sur un petit plateau en surplomb de la vallée de la Loire et de la plaine de Rome en limite d’agglomération du Puy-en-Velay.

4.4 Les voies ferrées désaffectées.
Sur un fragment de la vallée de la Loire au niveau du Puy-en-Velay, entre Brives-Charensac et la confluence avec la Laussonne et la Gazeille, un bout de "transcévénole" désaffectée (la voie célèbre n’a jamais été achevée entre la Haute-Loire et l’Ardèche) peut aujourd’hui être utilisée en voie verte. Le danger pour cette voie qui trouve un emploi conséquent aujourd’hui est sa destruction progressive et fragmentaire, comme cela a été le cas pour le viaduc qui enjambe la Loire entre Coubon et Brives-Charensac en décembre 2011, abattu pour des questions de sécurité (fissures apparues après une crue). L’infrastructure désaffectée est une richesse à la fois physique (usages possibles) et symbolique (caractère mythique de la "transcévénole" inachevée). Elle possède aujourd’hui tous les ingrédients qui constituent un écosymbole local (voie verte, corridor écologique et imaginaire collectif).

4.5 Les potagers isolés.
Une curiosité presque anodine et invisible : les potagers isolés dans des espaces agricoles de prairies, notamment sur la plaine de l’Emblavès. Ce sont des parcelles cultivées de légumes, apparemment d’usage familial. Leur localisation, isolée au milieu des prés et souvent éloignée des fermes, pose question.

5. CE QUI A CHANGE OU EST EN TRAIN DE CHANGER

  • La transformation de la Ligne Haute Tension en Ligne Très Haute Tension.
    Le doublement de la Ligne Haute Tension entre Saint-Privas-d’Allier et Saint-Etienne provoque un élargissement de son emprise de dix mètres et une élévation de huit mètres de hauteur.
  • L’effacement du barrage de la centrale hydroélectrique de Brives-Charensac.
    En 2003, une assise en béton de plusieurs dizaines de mètres de long, qui avait été construite pour stabiliser la divagation de la Gagne, un affluent de la Loire, a été démantelée et le canal parallèle à la Loire qui servait jadis à amener l’eau à l’usine en aval a été comblé en partie. Le canal de fuite en aval de l’usine hydroélectrique a été conservé. Ce démantèlement est très symbolique car la construction de cet ouvrage a marqué l’arrivée de l’électricité au Puy-en-Velay à la fin du 19ème siècle.
  • L’élargissement des axes de transit.
    Les travaux de contournement du Puy-en-Velay ont une grande conséquence sur les manières d’aborder, de percevoir l’agglomération.
  • Le développement et l’extension urbaine.
    Notamment en ce qui concerne les hameaux anciens et leurs alentours. Ce développement a pour conséquence, notamment à l’Est de l’agglomération du Puy-en-Velay, une accentuation de la complexité de ces campagnes par colonisation urbaine.
  • L’élargissement des voiries.
    La colonisation urbaine de ces campagnes de proximité a pour corollaire un certain nombre de travaux d’aménagement. Notamment pour favoriser un accès plus rapide.
  • L’enfrichement, l’abandon ou la disparition de la mémoire des points de vue.
    L’abandon des pratiques des points hauts et des versants tout le long de sur la vallée de la Loire s’accompagne d’une forme d’oubli des points de vue parfois célèbres et d’une poursuite de l’enfrichement des landes sur les versants.
  • La substitution naturelle de forêts de pins de versants.
    Quand elles arrivent à terme, ces forêts de reconquête des versants par le pin se transforment progressivement en forêts de feuillus.
  • L’abandon ou la colonisation d’un chapelet de petits espaces à situations paysagères exceptionnelles.
    Ce sont les petits plateaux suspendus, les espaces étroits des méandres… le long du fleuve.
  • Disparition ou modification de certaines expériences de basculement stratégiques.
    Le "basculement paysager" est une expérience relativement typique du département de la Haute-Loire. Le terme exprime ce qu’on perçoit quand on passe d’un paysage à un autre de façon très brève et spectaculaire. Ces expériences évoluent aujourd’hui, notamment dans l’aire d’influence urbaine du Puy-en-Velay du fait de la colonisation urbaine des campagnes et des aménagements d’infrastructures (élargissement de route par exemple) qui l’accompagnent.
  • L’avenir des voies ferrées désaffectées.
    Transformation en voie verte pour certaines.

6. VERSION IMPRIMABLE

7. PHOTOTHEQUE

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