9.07 Vallée et gorges de la Dordogne
Ce texte est le résultat d’un agencement des choses dites par des paysagistes et leurs invités, tous embarqués dans une camionnette-voyageuse à travers l’Auvergne. Pour cet ensemble de paysages, il a été écrit à partir de tout ce qu’ils ont été capables de voir ensemble, durant l’ itinéraire n°16 de l’atelier mobile des paysages qui s’est tenu le 25/10/2011.
1. SITUATION
Cet ensemble de paysages se situe sur la bordure ouest des départements du Cantal et du Puy-de-Dôme. Zone de contact et de transition, elle représente surtout une barrière physique, dont la traversée n’est possible que par quelques ponts. Le découpage administratif coïncide avec cette barrière naturelle : la Dordogne sert de limite départementale et régionale. L’érosion a creusé des vallées étroites et relativement encaissées. L’orientation de la rivière est principalement nord-sud, depuis les gorges d’Avèze jusqu’à l’aval du barrage de l’Aigle. Cependant, non loin de sa source, elle prend une orientation est-ouest sur une vingtaine de kilomètres entre les gorges d’Avèze et le Mont-Dore. A l’amont, elle traverse l’ensemble de paysages des Monts Dore (1.02) pour ensuite servir de limite entre celui des Pays coupés d’Artense, de Sumène, et de Xaintrie (3.03) et celui des Combrailles (4.05). Enfin, à l’aval, elle borde uniquement l’ensemble de paysages des Pays coupés d’Artense, de Sumène, et de Xaintrie (3.03).
Cet ensemble appartient à la famille de paysages : 9. Les vallées, gorges et défilés
Les unités de paysages qui composent cet ensemble : 9.07 A Haute vallée de la Dordogne / 9.07 B Gorges d’Avèze / 9.07 C Gorges du Chavanon / 9.07 D Retenue de Bort-les-Orgues / 9.07 E Retenue de Marèges / 9.07 F Retenue de l’Aigle.
2. GRANDES COMPOSANTES DES PAYSAGES
DES PAYSAGES QUI RESULTENT DE LA CONSTRUCTION DES BARRAGES.
2.1 Une machine à produire de l’énergie électrique.
2.2 Derrière l’apparence actuelle du territoire que l’on croirait presque "naturelle", les formes d’aménagements liées à l’énergie sont très complexes : exemple du complexe hydro-électrique de la Tarentaine et de la Rhue.
L’apparence actuelle de ces territoires de gorges, qui semble "naturelle" quand on s’écarte des constructions de barrages et usines, quelques décennies après la construction de ces grandes infrastructures hydro-électriques, ne doit pas faire oublier le bouleversement que les retenues et travaux d’acheminement ont fait subir aux milieux. Derrière cette apparence, c’est une machinerie artificielle complexe qui a été réalisée en l’espace d’une soixantaine d’années, dont l’origine remonte peut-être à l’ingénierie hydraulique inventée pour les jardins de Versailles.
Par exemple, le dispositif qui met en relation les gorges de deux affluents de la Dordogne (la Rhue et la Tarentaine) et un ensemble de lacs naturels ou de retenue dont Lastioulles et la Crégut sont les plus connus, est un vaste système de construction de barrages, de déversoirs, d’évacuateurs de crue, de conduites forcées traversant la forêt, de cheminées d’équilibre et d’usines hydroélectriques, qui permet l’exploitation des ressources naturelles entre Tarentaine, Eau Verte, Rhue et Dordogne jusqu’à Bort-les-Orgues à 20 kilomètres de là. Si le complexe des lacs de Lastioulles et Crégut bénéficie aujourd’hui d’une image de "petite Scandinavie", c’est en quelque sorte en partie aux infrastructures qu’il le doit.
2.3 Un territoire marqué par le programme énergétique français des années 1930.
2.4 Les trois grands barrages "cantaliens", expressions d’une forme d’aménagement de fort impact.
- Le barrage de Bort-les-Orgues. Pour permettre la mise en eau du barrage de Bort, il a fallu noyer trois villages et on a évité de justesse l’immersion du château de Val qui était prévue dans le projet initial. Une partie de la ligne de chemin de fer reliant Bourges à Miécaze près d’Aurillac a dû être inondée, engendrant non seulement l’arrêt du trafic mais aussi l’abandon du bout de ligne entre Bort-les-Orgues et Neussargues et l’abandon de la gare de Bort. La retenue du barrage de 23 kilomètres de long est la plus grande retenue française pour un barrage en béton. Il fait 120 mètres de hauteur. Les travaux commencés en 1942 ont été achevés dix ans plus tard.
- Le barrage de Marèges. C’est le plus ancien de la série des cinq barrages construits sur la vallée de la haute Dordogne (trois sur la frontière Cantal-Corrèze et deux en Corrèze), construit entre 1932 et 1935. Il fait 90 mètres de hauteur et a eu pour conséquence d’élever le niveau de la rivière de 73 mètres en inondant la vallée. Il a été construit par la Compagnie des Chemins de fer du Midi qui a obtenu la concession à l’époque.
- Le barrage de l’Aigle. Le barrage de l’Aigle a été construit pendant la deuxième guerre mondiale (début des travaux en 1939). L’emprise de la Dordogne a été modifiée sur une trentaine de kilomètres en amont par cette construction. En aval, le pont d’Aynes, datant du Moyen-âge, qui permettait le passage sur l’Auze à sa confluence avec la Dordogne a été abandonné à l’inondation temporaire. Le site a été inscrit dans le cadre de la politique de protection des sites et des paysages en 1945. Un autre pont en béton, plus aérien a été construit à une centaine de mètres après la construction du barrage. Le village d’Aynes est né à l’époque du chantier du barrage. Comme dans les cas des travaux du rail en zones isolées (comme par exemple au Nouveau Monde en Haute-Loire), des maisons ont été construites autour de quelques granges existantes pour loger ceux qui ont permis la construction et l’exploitation du barrage.
Sur le barrage de l'Aigle
2.5 Deux formes de processus de mémoire autour des barrages.
- Les barrages : partie prenante du réseau de lieux de mémoire de la deuxième guerre mondiale.
Plaque mémoire de la Résistance au barrage de l'Aigle - Mémoire de ce que les barrages ont fait disparaître.
L’acte mémoriel prend aujourd’hui la forme relativement spectaculaire du tourisme : sur la retenue du barrage de Chastang en Corrèze, en aval de la partie cantalienne de l’ensemble de paysages, des gabarres partent de Spontour et font naviguer les visiteurs sur la Dordogne. On les emmène voir les arbres fossiles qui, la tête hors de l’eau, indiquent la présence des villages noyés par les eaux des barrages. Un projet du même ordre est en cours sur la retenue du barrage de l’Aigle (cf. ci-dessous).
La plupart des lieux d’information sur les grands barrages indiquent ce que les constructions ont fait disparaître au nom de l’intérêt général et du développement collectif. Par exemple, on peut apprendre que les vestiges de l’abbaye de Valette d’Auriac, datant du 12ème siècle sont noyés dans la retenue du barrage de Chastang…
La différenciation de ces deux processus mémoriels est importante. Il s’agit d’une procédure peut-être universelle de "résilience" face à des formes d’aménagement dont on ne peut nier le caractère traumatisant pour les populations.
2.6 Des gorges peu accessibles et peu habitées.
2.7 Forêt de sols pauvres et peu profonds.
Sur les versants des gorges, sur des sols pauvres et peu profonds, la forêt qui s’est développée et qui en recouvre la quasi totalité est constituée de petits chênes, de châtaigniers, de bouleaux, de fougères et de bruyères. En regardant ces versants, on ne peut s’empêcher de noter la forte ressemblance avec la Corrèze.
2.8 Territoire de marge et paysages tabous.
L’unique zone réellement habitée et occupée par les hommes au bord de la Dordogne se situe autour de Bort-les-Orgues. On peut peut-être parler en ce qui concerne la haute vallée de la Dordogne d’une forme de Tiers paysage, d’un délaissé territorial qui a vidé et isolé le territoire suite au programme de construction des grandes retenues de barrage des années trente. Le cas peut servir d’exemple pour réfléchir à d’autre programmes d’infrastructures à grande échelle. On se demande à quel point même, dans ce cas, l’ensemble de paysages ne ferait pas l’objet d’une forme de "tabou".
2.9 L’EXEMPLE INVERSÉ DU CHAVANON, UNE AUTRE MANIÈRE DE VOIR LE MONDE.
Conciliation entre obligations écologiques et projet économique de production de l’énergie.
Corridor écologique.
L’aménagement du territoire vu par la loutre.
Ruines utiles : les tunnels des gorges du Chavanon.
Les gorges du Chavanon sont intégrées dans un SIC (Site d’Intérêt Communautaire) au sein du réseau des sites Natura 2000. L’intitulé du site est : tunnels des gorges du Chavanon. Il réglemente la protection de chauves-souris installées dans les anciens tunnels de la voie de chemin de fer désaffectée Paris-Béziers, qui longeait les gorges du Chavanon. Quatre tunnels sont dans le périmètre du site et deux, situés de l’autre côté du Chavanon dans le département de la Corrèze, sont hors du site. Une proposition d’extension du site en Corrèze a été faite dans le DOCOB (Document d’Objectifs).
Le Chavanon, site de la Résistance.
Dans les gorges du Chavanon, un grand rocher vertical est décollé de la falaise à sa base, à l’endroit où elle est rencontre l’eau de la rivière. Il sert d’abri et de passage aux animaux. On ne peut s’empêcher de penser qu’il a pu servir d’abri pour les hommes lors de la deuxième guerre mondiale. Les gorges du Chavanon sont un des deux premiers lieux de formation de la Résistance de la région Limousin en 1942. Elles font partie de ce système de lieux de mémoire ordinaire de la Résistance dont l’Auvergne est très riche.
Pour toutes ces raisons, les gorges du Chavanon sont le lieu d’un enjeu naturaliste mais aussi de paysage dans la mesure où elles reflètent la possibilité d’un autre regard et d’une autre manière d’appréhender les questions combinées d’aménagement du territoire, de ressources naturelles et de mémoire. Elles cristallisent un enjeu sociétal de premier ordre qui concerne la manière dont on aborde dès aujourd’hui l’aménagement du territoire sous un angle socio-écologique large, et non purement technique ou économique.
3. MOTIFS PAYSAGERS
3.1 Les infrastructures hydro-électriques.
3.2 Les franchissements de la Dordogne.
Les rares endroits où on peut franchir la Dordogne et ses affluents, quand ils ne sont pas liés à des infrastructures hydro-électriques sont des espaces particuliers qui se ressemblent beaucoup du fait de leur isolement dans les gorges. Contrairement aux franchissements d’autres rivières qui font l’objet ou ont résulté d’une installation humaine avancée, ceux qui permettent de passer la Dordogne reflètent plutôt aujourd’hui l’absence prononcée d’occupation de l’homme : aucune installation humaine construite à plusieurs kilomètres à la ronde, un environnement forestier naturel dense dans un relief accentué… Les deux franchissements sur les gorges d’Avèze par exemple (routes départementale 987 et 73), celui au commencement amont de la retenue de Bort-les-Orgues (départementale 73a), celui sur le Chavanon près de Savennes, celui sur la Burande près de Singles, celui du pont de Vernejoux en aval du barrage de Marèges, celui du pont de Saint-Projet à la confluence du Labiou et de la Dordogne sur la retenue du barrage de l’Aigle…
4. EXPERIENCES OU ENDROITS SINGULIERS
4.1 Le point de vue de la Route des Ajustants.
C’est l’unique bout de route qui sur sept kilomètres permet de longer les gorges (cf. Grandes composantes des paysages : des gorges peu accessibles et peu habitées).
4.2 Le belvédère de Gratte Bruyère et le site de Saint-Nazaire.
Ce sont deux points de vue naturels célèbres et spectaculaires sur les gorges.
4.3 Les points de vue depuis les barrages et sur les infrastructures hydro-électriques.
Les infrastructures énergétiques ont généré un mode de vision singulier sur la rivière.
4.4 Le hameau d’Aynes.
Un exemple "d’urbanisme" lié à la construction d’une infrastructure (cf. Grandes composantes des paysages : les trois grands barrages cantaliens, le barrage de l’Aigle).
4.5 Le site des ruines du château de Madic.
Les ruines secrètes d’une forteresse médiévale enfouies dans la végétation (cf. Marlin C., Pernet A., Analyse et bilan de la politique des sites protégés dans le département du Cantal, Diren Auvergne, février 2007).
4.6 Le site du château de Val.
La situation actuelle du château de Val a été créée de toute pièce par la mise en eau du barrage de Bort-les-Orgues : sur une île, alors qu’il surplombait les gorges enfouies sous les eaux (cf. Marlin C., Pernet A., Analyse et bilan de la politique des sites protégés dans le département du Cantal, Diren Auvergne, février 2007).
4.7 Le système hydro-électrique de la Tarentaine et de la Rhue.
C’est un système complexe de plusieurs dizaines de kilomètres de conduites reliant plusieurs lacs et deux cours d’eau au barrage de Bort-les-Orgues (cf. Grandes composantes de paysages : … exemple du complexe hydro-électrique de la Tarentaine et de la Rhue).
5. CE QUI A CHANGE OU EST EN TRAIN DE CHANGER
- Fleurs de Nouvelle-Zélande.
Dans les gorges de la Dordogne, une Aster exotique s’est fait récemment une place parmi les plantes plus ou moins indigènes. Elle est facilement reconnaissable quand elle est en fleur. Elle provient de Nouvelle-Zélande et a été introduite récemment dans le département. Elle modifie à certains moments les ambiances végétales du cortège local. Changement très perceptible pour les habitués.
- Le renouvellement des concessions énergétiques.
Les concessions de barrages en France sont en cours de renouvellement. Ce renouvellement est l’occasion (ou pas) d’une meilleure prise en compte de la dimension socio-environnementale de telles infrastructures et devrait s’inscrire en fonction de chaque situation dans un "projet de territoire" adapté (cf. Grandes composantes des paysages : l’exemple inversé du Chavanon).