9.04 Vallée et gorges de la Truyère

Ce texte est le résultat d’un agencement des choses dites par des paysagistes et leurs invités, tous embarqués dans une camionnette-voyageuse à travers l’Auvergne. Pour cet ensemble de paysages, il a été écrit à partir de tout ce qu’ils ont été capables de voir ensemble, durant l’ itinéraire n°9 de l’atelier mobile des paysages qui s’est tenu le 19/07/2011.

1. SITUATION

Cet ensemble de paysages constitue la bordure sud du Massif du Cantal (1.05), aux confins du Carladez (à l’ouest) (4.07), de l’Aubrac (au sud) (1.06) et de la Margeride (à l’est) (1.08). Zone de contact et de transition, elle représente surtout une barrière physique, dont la traversée n’est possible qu’en quelques points (ponts sur la Truyère). Elle s’individualise donc de façon évidente. Le découpage administratif coïncide d’ailleurs avec cette barrière naturelle, les limites départementales (Cantal-Aveyron) et communales s’appuyant sur les différentes rivières.
L’érosion a creusé des vallées étroites et très encaissées, dont l’axe principal est la Truyère (orientation est-ouest). De nombreux affluents d’orientation nord-sud, également très encaissés, viennent s’y jeter, tant en rive droite qu’en rive gauche. Entre chaque vallée s’individualisent des plateaux qui, du fait du rapprochement et de la sinuosité des vallées, apparaissent très festonnés et découpés.

Cet ensemble appartient à la famille de paysages : 9. Les vallées, gorges et défilés

Les unités de paysages qui composent cet ensemble : 9.04 A Retenue de Garabit-Grandval / 9.04 B Gorges du Bès / 9.04 C Retenue de Lanau / 9.04 D Retenue de Sarrans.

2. GRANDES COMPOSANTES DES PAYSAGES

2.1 L’expérience des gorges.
L’expérience des gorges est de première importance en Auvergne. Si elles sont de natures très variées, l’expérience que l’on y fait a des fondements communs. Roland Barthes, dans Mythologies, en parle de cette façon : « Au nombre des spectacles promus par le Guide Bleu à l’existence esthétique, on trouve rarement la plaine (sauvée seulement lorsque l’on peut dire qu’elle est fertile), jamais le plateau. Seuls la montagne, la gorge, le défilé et le torrent peuvent accéder au panthéon du voyage, dans la mesure sans doute où ils semblent soutenir une morale de l’effort et de la solitude » (Barthes R., Mythologies, éditions du Seuil, 1957).
La perte de l’horizon, le rapport de proximité aux roches et le rapport à un cours d’eau central sont trois composantes essentielles de l’expérience de la gorge.
Les gorges de la Truyère font partie d’une catégorie particulière de gorges qui, contrairement, par exemple, à celles de la Sioule à Chouvigny, sont plus difficilement accessibles parce qu’on ne peut pas les longer au niveau du cours d’eau. Il n’y a pas de route en fond. On reste le plus souvent à l’écart de l’eau en hauteur avec des vue plongeantes impressionnantes. Les lieux de rapprochement de l’eau sont les endroits où la traversée est possible (Pont de Lanau, pont de Tréboul, pont de Grandval, pont de Garabit sous le viaduc…).

Berges de la retenue d'eau du barrage de Grandval
Elles font aussi partie, à l’instar des gorges de la Dordogne, de la catégorie de gorges qui ont été "comblées" par des retenues de barrage et ont changé brutalement d’apparence et de fonctionnement local par le passé. Les populations des versants ou plateaux adjacents y ont vécu le traumatisme de la transformation radicale, voire de la rupture totale des échanges et communications entre rives. Une succession de barrages hydroélectriques sur le cours de la Truyère (barrages de Grandval, de Lanau, de Sarrans) a entrainé l’ennoyage des vallées. Ces barrages ont transformé une rivière de moyenne montagne au cours rapide en une succession de plans d’eau étagés et calmes.

2.2 Perte de mémoire rapide.
Les barrages ont "révolutionné" les gorges. Nous perdons rapidement la mémoire de ce qui se passait dans ces gorges, de leur fonctionnement humain avant la construction du barrage.

2.3 L’énergie hydro-électrique : les retenues de barrages.

Barrage de Lanau
La Truyère a été transformée en "lacs" sur presque tout son linéaire cantalien, notamment par la construction du barrage de Grandval (retenue de plus d’une dizaine de kilomètres au bout de laquelle est situé le viaduc de Garabit). Le lac de barrage fait partie d’un ensemble conséquent de lacs de barrages construits dans les années 1940 en Auvergne dans la zone de la Truyère et de la Haute Dordogne. Une politique d’aménagement en vue d’une production à grande échelle d’énergie hydro-électrique a été mise en place à cette époque induisant de grands travaux. L’objectif était de pourvoir le pays en énergie électrique en hiver et de pallier le déficit de production des barrages de montagne des Alpes et des Pyrénées pendant cette saison. Ces barrages, les lacs gigantesques qu’ils ont produit, les installations hydroélectriques qui ont dû être réalisées à leurs abords et les multiples réseaux d’acheminement de l’électricité hors des gorges, constituent un pan important de l’histoire de l’aménagement des cours d’eau en Auvergne.

2.4 Des règlementations qui orientent ces paysages : la loi Littoral et la loi Montagne.
Parmi tous ces barrages, trois, dont deux sur la Truyère, (barrage de Granval, barrage de Sarrans, barrage de Bort-les-Orgues sur la Dordogne) ont généré des retenues d’eau ayant une superficie supérieure à mille hectares. De ce fait, ils tombent sous la réglementation de la loi Littoral. Aucune construction ne peut être réalisée sur une bande de cent mètres à partir de leurs rives. Les communes se demandent aujourd’hui comment aménager les abords pour profiter de ces masses d’eau en termes d’accueil touristique ou de développement local. La loi Montagne est plus stricte encore : aucune construction neuve dans une bande de trois cents mètres à partir des rives des plans d’eau. La proximité de la ville de Saint-Flour et de l’autoroute rend les versants de l’Ander, par exemple, particulièrement attractifs à la construction d’un nouvel habitat (cf. exemples de projets locaux : exploiter les qualités du lac).

2.5 Installations de loisirs et accueil du tourisme.

Base de loisirs sur la Truyère au niveau de Faverolles
Depuis longtemps, avant la construction des barrages, les gorges pittoresques de la Truyère attiraient les touristes. Le viaduc de Garabit et les ruines du château d’Alleuze n’y étaient pas pour rien. Une auberge avec vue plongeante sur les gorges et le viaduc le long de la route nationale 9 témoigne de ce passé touristique. Depuis la construction des barrages, les élus développent l’accueil touristique en aménageant des infrastructures de loisirs nautiques, par exemple la base installée à la confluence du Bès et des gorges de la Truyère, là où une île au milieu d’une zone d’eau très élargie accentue le caractère pittoresque du "lac de gorges".

2.6 Landes et forêts des versants des gorges.

Landes et versants boisés de la vallée de la Truyère
La transition entre la surface des plateaux et les vallées est très brutale : la rupture de pente est particulièrement marquée et le passage du plateau aux fortes pentes des versants se fait d’un coup. Les versants difficilement exploitables par l’agriculture sont colonisés par des forêts et des landes. Les peuplements forestiers (hêtres, chênes, pins sylvestres et sapins) sont denses et offrent une grande variété de textures et de couleurs. Sur les versants exposés au sud, la forêt cède la place à des formations végétales plus sèches, notamment des landes à forte valeur botanique composées d’espèces (fougères, bruyères, genêts…) qui témoignent de la pauvreté et de l’acidité des sols. Ces formations végétales laissent apparaître en partie les affleurements de la roche.

2.7 Les cultures vivrières des villages du plateau vers le sud et une atmosphère du temps passé.

Jardin potager à Faverolles
Le verger de pommiers à l’entrée du village de Faverolles est un exemple de présence de cultures vivrières qui marque particulièrement l’atmosphère des bourgs et villages de la zone de plateau entre les gorges de la Truyère et l’Aubrac. Dans le bourg de Faverolles, une maison servait à la fois de boulangerie et de quincaillerie. L’écriteau est toujours là (Boulangerie-Quincaillerie) sur la devanture. Devant la maison, un jardin potager bien fourni. L’atmosphère s’apparente à celles photographiées par Raymond Depardon dans son livre sur les paysages français. L’association entre une ancienne maison de bourg ayant servi de commerce de proximité à vocation multiple et un jardin potager en devanture est un motif paysager qui n’est pas rare dans le département du Cantal.

3. MOTIFS PAYSAGERS

3.1 Les landes climaciques des versants avec leurs affleurements rocheux.
Le contraste entre ces espaces de roche et d’herbes et la forêt qui recouvre une grande partie des versants des gorges, leur situation caractéristique et récurrente en versant sud… les rend très facilement perceptibles (cf. Grandes composantes des paysages : landes et forêts des versants des gorges.)

3.2 Les barrages.
Les barrages et aménagements hydroélectriques font à tel point partie de manière récurrente de l’expérience que l’on fait de cet ensemble de paysages qu’ils peuvent être considérés comme un motif paysager singulier (cf. Grandes composantes des paysages : l’expérience des gorges et l’énergie hydro-électrique.)

4. EXPERIENCES OU ENDROITS SINGULIERS

4.1 Le dispositif de vision du viaduc de Garabit.
Le viaduc de Garabit, comme beaucoup d’autres monuments ou ouvrages d’art spectaculaires, peut être regardé comme un dispositif de vision devenu complexe à force d’aménagements réalisés pour le voir. Le premier dispositif est la mise en lumière (voir durant la nuit). Le deuxième est l’aire d’autoroute. Elle est conçue comme une "aire d’arrêt" dans le paysage. La présence du viaduc détermine son emplacement : elle est entièrement aménagée pour le voir. Le troisième aménagement est la route nationale 9 devenue « route touristique » mentionnée dans les guides. Elle est accompagnée d’installations d’accueil (auberges, cafés, points d’arrêts pour voir le viaduc…). La proposition d’un projet de réaménagement du pont qui fait traverser la route au-dessus de la Truyère en contrebas du viaduc s’inscrit dans cette lignée d’aménagements successifs réalisés au cours du temps autour de l’ouvrage d’art. L’élargissement des trottoirs du pont le rendrait facilement accessible par le piéton et en ferait un belvédère d’arrêt spectaculaire pour voir l’ouvrage en contreplongée. Ce serait un cas de superposition d’usages d’une infrastructure. Aucun projet d’ensemble n’a été mené pour proposer l’ouvrage d’art au regard du touriste. La zone aux alentours du pont est organisée comme une accumulation de dispositifs qui caractérisent chacun une époque.

4.2 Le dispositif général de vision des gorges.
Les routes qui mènent aux barrages où l’on peut traverser les gorges, permettent de se rapprocher ponctuellement de l’eau. Ces points de rencontre quasi "tactiles" avec la rivière s’ajoutent à un ensemble de points de vue plongeant sur le spectacle des gorges depuis les hauteurs, pour constituer un dispositif visuel relativement dense à l’échelle de l’ensemble de paysages de la Truyère cantalienne. Les exemples de tels points de vue belvédères sont nombreux : le long de la route départementale 13, belvédère panoramique de Mallet ; le long de la route départementale 13, entre Faverolles et Fridefont, vue panoramique au-dessus des gorges et du lac de Grandval ; près de Lanau, point de vue à Chassagne ; près de Bessols, vue plongeante panoramique spectaculaire sur les gorges et le lac de Grandval depuis l’auberge le long de l’ancienne route nationale 9 près de Garabit, etc.

4.3 Le site classé du château d’Alleuze sur sa presqu’île.
Le site du château d’Alleuze est protégé au titre de la politique des sites de l’Etat. Il fait partie lui aussi de ce dispositif de vision relativement dense au-dessus et dans les gorges. Le Guide Vert de 1958 dit à son sujet : « Il n’est guère, en Auvergne, de site plus romantique que celui-ci ». Depuis la Barge, « en descendant vers le château par un chemin de croix tracé sur l’arête d’un promontoire, la vue sur le site d’Alleuze est extraordinaire ». « Au fond d’une vallée sauvage, les ruines du château se dressent sur une butte rocheuse et dénudée qui s’élève sur un fond sombre de sapins ». Les alentours moins dénudés ont changé mais l’impression reste encore très forte si bien que le site, très visité, à fait l’objet d’aménagements d’accueils discrets mais très efficaces (cheminements, murets…).
Cf. Marlin C., Pernet A., Analyse et bilan de la politique des sites protégés dans le département du Cantal, Diren Auvergne, février 2007.

4.4 Expérience du "sublime" : vue plongeante aménagée.
En remontant le versant des gorges en direction de Neuvéglise, une aire d’arrêt a été aménagée en belvédère avec vue plongeante sur les gorges. Des murets de pierres ont été construits dans la partie supérieure et un cheminement en marches a été réalisé pour permettre au visiteur de descendre vers un petit belvédère à l’écart de la route, une vingtaine de mètres en contrebas. Le belvédère est entouré des mêmes murets de pierres. A cet endroit-là, l’expérience aménagée d’une vision en plongée des gorges en enfilade s’apparente à une forme de recherche d’expérience ancienne issue du 19ème siècle : l’expérience du sublime (Poétique du paysage à l’époque romantique pour laquelle la beauté des paysages notamment dépend étroitement de leur caractère grandiose et sauvage…).

5. CE QUI A CHANGE OU EST EN TRAIN DE CHANGER

  • Le développement d’équipements touristiques.
    Les enjeux touristiques forts sur la rivière et à proximité (Lanau, Garabit, Granval…) sont susceptibles d’avoir des conséquences sur les paysages : risques de surfréquentation, impact des aménagements…

6. VERSION IMPRIMABLE

7. PHOTOTHEQUE

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