8.03 Vallée du Cher
Ce texte est le résultat d’un agencement des choses dites par des paysagistes et leurs invités, tous embarqués dans une camionnette-voyageuse à travers l’Auvergne. Pour cet ensemble de paysages, il a été écrit à partir de tout ce qu’ils ont été capables de voir ensemble, durant l’ itinéraire n°25 de l’atelier mobile des paysages qui s’est tenu le 29/02/2012.
1. SITUATION
La vallée du Cher orientée nord-sud sépare l’ensemble de paysages du Bocage du Berry (5.02) de celui du Bourbonnais (5.01) dans la partie ouest du département de l’Allier. La vallée présente un profil très différent au sud et au nord de Montluçon. Au sud, elle adopte un profil en gorges étroites et un cours sinueux et au nord, elle est très large et ouverte. Le changement de profil s’opère un peu en amont de la plaine de Montluçon.
Cet ensemble appartient à la famille de paysages : 8. Les vals et grandes rivières de plaine
Les unités de paysages qui composent cet ensemble : 8.03 A Gorges du Cher / 8.03 B Ville de Montluçon / 8.03 C Plaine de Domérat / 8.03 D Coteaux de Montluçon et d’Estivareilles / 8.03 E Cher de Vallon-en-Sully / 8.03 F Cher d’Urçay.
2. GRANDES COMPOSANTES DES PAYSAGES
On peut diviser cet ensemble en trois grandes séquences qui ont chacune des caractéristiques propres mais qui sont étroitement liées par leur relation au Cher : 1. Les gorges en amont de Montluçon ; 2. La zone de réseaux de communications entremêlés à l’aval de Montluçon ; 3. L’agglomération de Montluçon elle-même.
2.1 Les gorges en amont de Montluçon.
2.1.1 L’expérience des gorges.
2.1.2 Les gorges du Cher : relativement secrètes et peu accessibles.
2.1.3 Les installations hydro-électriques.
Deux barrages ont été construits sur le Cher, le barrage de Rochebut et celui de Prat avec son usine. Un troisième projet de barrage, s’il n’a jamais vu le jour, a transformé pour longtemps l’équilibre social du bourg de Chambonchard, longtemps vidé d’habitants. Les installations hydro-électriques occupent une place importante dans l’espace des gorges comme dans la mémoire des quelques habitants de ce territoire.
2.1.4 Le barrage de Rochebut.
2.1.5 Urbanisme de barrage.
2.1.6 « Le village fantôme veut retrouver son âme » (Le Journal du Dimanche du 19.08.2001).
Un projet de barrage sur la vallée du Cher jamais abouti a fait déserter les habitants de leur village de Chambonchard. Le projet de construction a duré une quarantaine d’années, depuis les années 1960 jusqu’aux années 2000. Une grande partie des habitants a été expropriée et les maisons se sont progressivement délabrées. Des études contradictoires ont été menées pour finalement aboutir à un abandon du projet. Depuis quelques années, le village renaît. La vallée du Cher est à cheval sur le département de la Creuse et le département de l’Allier. La vallée de Chambonchard et les gorges du Cher font aujourd’hui partie de programmes de valorisation du patrimoine naturel. Les Conseils Généraux incitent à la réinstallation d’habitants pour commencer la reconquête des paysages de la vallée. Une idée de "lieu de création de paysage multi-acteurs" a été lancée… Les Conseils Généraux de la Creuse et de l’Allier ont racheté, pour une valeur symbolique, les terres initialement destinées à être ennoyées. Côté Creuse, des particuliers et porteurs de projets se sont installés et font revivre le village. La mairie a regagné le bourg, face à l’église. Dans l’Allier, une partie des terres agricoles fait aujourd’hui l’objet d’une opération ENS (espace naturel sensible) portée par le Conseil Général de l’Allier.
L’histoire complexe de ce grand projet avorté est un témoignage des évolutions des politiques d’aménagement du territoire pendant la deuxième partie du 20ème siècle. Elle illustre le changement de position vis-à-vis des politiques énergétiques qui ont prévalu depuis les années 1920 et ont mené à la démultiplication des barrages sur les rivières d’Auvergne. C’est aussi un témoignage de l’impact social que peut avoir un projet territorial sur le papier avant même qu’il ne soit réalisé et dans ce cas, sans aller jusqu’à sa réalisation.
2.2 La zone de réseaux de communication en aval de Montluçon.
2.2.1 Le réseau dense de voies de communication autour du Cher : axe routier (D2144), voie ferrée, canal de Berry, autoroute…
2.2.2 Le canal de Berry désaffecté.
2.2.3 La composante industrielle de la forêt de Tronçais, en lien direct avec le canal de Berry.
Le massif forestier de Tronçais est parsemé d’éléments qui témoignent d’usages moins directement sylvicoles au cours de son histoire. Beaucoup sont liés à l’eau et au réseau hydraulique. Deux rivières traversent le massif et une centaine de sources y ont été inventoriées. Une quarantaine de fontaines ont été aménagées au cours du temps selon des modalités très variables. Cinq étangs ont été construits. Le plus grand, l’étang de Pirot, a été créé en 1848 pour alimenter le canal de Berry, via un autre étang hors forêt, l’étang de Goule. L’étang de Tronçais a été créé en 1789 pour fournir de l’énergie aux forges de Tronçais. Celles-ci étaient alimentées en charbon de bois de la forêt jusqu’en 1932, date de leur abandon. Le système des étangs s’accompagne de digues qui ont servi de routes.
La forêt actuelle est le résultat d’une histoire humaine complexe, qui s’est développée plus ou moins en parallèle à l’histoire de l’exploitation forestière (cf. 5.01 Forêts et bocage bourbonnais)
2.2.4 Le système d’alimentation du canal de Berry : l’étang de Goule.
2.2.5 Les carrières de Nassigny : Histoire d’ENS (Espace Naturel Sensible).
Les carrières de Nassigny, dans le Val de Cher près de Vallon-en-Sully, ont été exploitées pour la construction de l’autoroute A71. Avant exploitation, la zone, en bord de Cher et de bocage, était connue de la LPO (Ligue de Protection des Oiseaux) pour l’installation d’une colonie de Héron cendré et de Bihoreau gris. Les carrières ont très largement modifié les milieux. L’exploitation achevée, un plan d’eau a été créé. Le site a été recolonisé par une faune très intéressante. Il y a une quinzaine d’années, il a fait l’objet d’une démarche de création de Réserve Naturelle Volontaire. Après avoir été géré par le CPIE (centre permanent d’initiation à l’environnement) de Tronçais, il est depuis 2011 sous gestion de la LPO (ligue de protection des oiseaux) et est devenu un ENS du Conseil Général de l’Allier. Un plan de gestion a été élaboré qui vise à la conservation d’espaces ouverts et de certains milieux pionniers, par des actions de restauration et de gestion (fauche exportatrice, débroussaillage de prairie, pâturage extensif, réouverture de boire, création de mares…).
2.2.6 L’un des plus beaux territoires producteur de "tiers paysages" d’Auvergne.
2.3 L’agglomération de Montluçon.
2.3.1 Paysages urbains en mutation rapide.
2.3.2 Dunlop et la Sagem, fruits anciens d’une reconversion de l’industrie de l’armement et de la métallurgie du 19ème siècle.
Domérat, dans l’agglomération de Montluçon, est une commune très étendue. Deux grandes industries y ont installé leurs usines. Dunlop depuis 1920 et la SAGEM depuis les années 1930. Leur installation est le fruit d’une reconversion de l’ancienne industrie qui avait fait la renommée et l’expansion de Montluçon au 19ème siècle : l’industrie de l’armement et de la métallurgie. Elle a bénéficié d’une part de l’exploitation du charbon de Commentry et d’autre part de l’arrivée du train et de la construction du canal de Berry dans le courant du 19ème siècle. L’industrie sinistrée a fait chuter la population de Montluçon de près de 30 % de 1968 à 1999. La population décroit régulièrement depuis. Les principaux employeurs se trouvent aujourd’hui dans le tertiaire (hôpital, mairie).
2.3.3 Cinq grandes formes récentes de changement dans l’organisation de l’agglomération de Montluçon.
- Vacance des logements et constructions nouvelles : 1. des lotissements se développent en périphérie d’agglomération, malgré la décroissance de la population ; 2. les logements de centre-ville se vident progressivement. Près de 8% des logements de l’OPH (Office Public de l’Habitat) de Montluçon sont vacants.
- Equipement commercial : près des sites des usines Dunlop et Sagem, sur la ZAC de Chataugay, un centre commercial Leclerc de 9000 m2 a été construit dans les espaces restant entre la ville de Montluçon et la déviation de contournement (rocade N145).
- Univers routier et autoroutier : la voie de contournement de Montluçon (rocade N145), élargie en 2X2 voies, devient un tronçon efficace de la RCEA qui relie les deux autoroutes A20 et A71.
RCEA à proximité de Montluçon - La fuite des commerces vers la périphérie : La ville, de par son histoire industrielle et son extension fulgurante du 19ème siècle sur la rive gauche du Cher, a la particularité d’avoir deux centres-villes (secteur médiéval + ville du 19ème siècle). Mais au centre, une seule « moyenne surface », de moins en moins de commerces… La population de centre-ville est soit âgée, soit "captive" (sans capacité de forte mobilité).
- La disparition du Canal de Berry : en 1963, huit ans seulement après la fermeture du canal de Berry à la navigation, le port de Montluçon est comblé avec les matériaux de la fonderie démantelée. On détruit un pont… Le quartier industriel des usines anciennes du centre de Montluçon est progressivement rasé. Une grande cheminée d’usine haute de cinquante mètres est abattue en 1979. On remplace le canal par une route et le site des usines par un centre commercial. Le cœur industriel de Montluçon qui a fait fonctionner la ville depuis la première moitié du 19ème siècle et a permis son développement est effacé en deux décennies. Ici, l’effacement a prévalu sur la reconversion. Effacement et reconversion sont deux grandes procédures d’aménagement qui répondent à des logiques très différentes.
Ancienne plaque de rue le long du canal aujourd'hui disparu
2.3.4 Les opérations ANRU.
Démolitions et restructurations d’espaces. L’ANRU (Agence Nationale pour la Rénovation Urbaine) a été créée en 2004 afin d’assurer la mise en oeuvre et le financement du PNRU (Programme National de Rénovation Urbaine). L’objectif est de mener des opérations globales de renouvellement de l’espace urbain ; voirie, desserte en transports en commun, habitat, aménagement commercial, mixité et insertion des habitants. Les procédures ANRU induisent généralement une quantité importante de démolitions et restructurations d’espaces, pour relier et insérer ces quartiers dans la ville. Au cas particulier, cette politique prend place dans un processus d’effacement, tel le comblement du canal de Berry dans les années 1960 par exemple.
Les opérations ANRU de Montluçon ont modifié considérablement le paysage urbain ces dernières années. Une particularité de Montluçon est que l’opération ANRU porte sur plusieurs quartiers de la ville (une seule opération à plusieurs volets d’intervention correspondant à différents quartiers) : 1. Rive Gauche (La Ville Gozet et canal de Berry) ; 2. Cité du Bien-Assis ; 3. Cité de Fontbouillant ; 4. Cité Dunlop. La quantité de fragments d’opération a eu pour effet de modifier le paysage urbain à grande échelle. Toutes les opérations portent, sauf pour Rive Gauche du Cher, sur des ZUS (zones urbaines sensibles). L’objectif global poursuivi est une transformation complète des quartiers avec un important volet social et une prise en compte du développement durable.
- Opération ANRU du canal de Berry (La Ville Gozet) : La disparition du Canal de Berry, épisode 2.
ANRU Canal du Berry - Opération ANRU / Quartier de Bien-Assis.
ANRU du quartier de Bien-Assis - Opération ANRU / Quartier de Fontbouillant.
ANRU du quartier de Fontbouillant - Opération ANRU / Cité Dunlop. « L’objectif était de libérer des espaces pour permettre de nouvelles constructions » et « d’offrir des logements sociaux en pavillons au sein de la cité » (Source : Communauté d’agglomération de Montluçon). Cinquante logements des années 1910 ont été détruits pour cause « de sécurité, d’insalubrité et de vacance ». A la place, vingt pavillons ont été reconstruits. Une trentaine d’autres logements ont été construits ailleurs. Des rénovations de chaussée, des cheminements piétons, un terrain de pétanque et des plantations d’arbres ont été réalisés.
2.3.5 Déplacer une maison.
Dans les années 1970 à Montluçon, une maison individuelle a été déplacée sur des rails. Elle gênait la construction de la rocade. Il s’agit de la maison située au pied du quartier de Bien-Assis, près de la voie ferrée, entre la rue Beaumarchais et l’avenue Jean Nègre.
3. MOTIFS PAYSAGERS
3.1 Les espaces de Tiers paysage.
« Le Tiers paysage est constitué de l’ensemble des lieux délaissés par l’homme. Ces marges assemblent une diversité biologique qui n’est pas à ce jour répertoriée comme richesse », écrit Gilles Clément (Clément G., Manifeste du Tiers paysage, TiersPaysagistes Press, 2011). Par le passé, le développement industriel de cet ensemble de paysages a induit une quantité d’aménagements et de constructions (infrastructures) de taille plus ou moins conséquente qui, aujourd’hui, forment un réseau d’espaces abandonnés, colonisés par la flore et la faune.
(cf. Grandes composantes des paysages : L’un des plus beaux territoires producteur de Tiers paysages d’Auvergne.)
4. EXPERIENCES OU ENDROITS SINGULIERS
4.1 Le site abandonné des ruines du château de l’Ours.
A quelques kilomètres au sud de Montluçon, l’accès pédestre à la ruine du château de l’Ours prend une part importante dans la qualité d’expérience de ce site. Un chemin descend longuement dans les gorges du Cher vers le promontoire du château qui les domine encore (cf. Marlin C., Pernet A., Analyse et bilan de la politique des sites protégés dans le département de l’Allier, Diren Auvergne, décembre 2005).
4.2 L’histoire non achevée du village de Chambonchard.
Les projets de grandes infrastructures comme un barrage par exemple ont, comme les projets effectivement réalisés, des conséquences importantes et concrètes sur le territoire. Malgré l’absence de construction et d’aménagement, c’est le devenir et la vie sociale de tout un village qui sont réorientés par le simple risque de grand projet qui a plané sur lui (cf. Grandes composantes des paysages : « Le village fantôme veut retrouver son âme »).
4.3 Le barrage de Rochebut.
L’âge du barrage construit en 1909 en fait une sorte de témoin technologique de l’histoire de notre exploitation des cours d’eau (cf. Grandes composantes des paysages : Le barrage de Rochebut).
4.4 Les opérations ANRU de Montluçon.
L’opération ANRU de Montluçon, divisée en plusieurs secteurs, est un exemple complexe de l’état actuel de la construction-réhabilitation de logements dans une ville moyenne en France (cf. Grandes composantes des paysages : Les opérations ANRU).
4.5 Les morceaux de canal de Berry abandonnés, reconvertis, anéantis…
Le canal de Berry est l’exemple d’une infrastructure dont le potentiel de reconversion a été oublié après son abandon comme mode de locomotion par le secteur industriel. Il illustre en ce sens un processus qui touche également d’autres formes plus actuelles d’infrastructures pour le moment toujours en exploitation comme le réseau ferré (cf. Grandes composantes des paysages : Le canal de Berry désaffecté.).
5. CE QUI A CHANGE OU EST EN TRAIN DE CHANGER
5.1 L’avenir des espaces délaissés.
Une prise de conscience du potentiel des espaces délaissés par l’histoire industrielle de cet ensemble de paysage peut permettre d’imaginer un nouveau sens pour ces espaces.
(cf. Grandes composantes des paysages : l’un des plus beaux territoires producteur de "tiers paysage" d’Auvergne).
5.2 L’agglomération de Montluçon.
Les rénovations urbaines du programme ANRU, les développements routiers et commerciaux en périphérie de Montluçon donnent un nouveau visage à la ville qui tend à s’écarter de son image industrielle plus ancienne.
(cf. Grandes composantes des paysages : l’agglomération de Montluçon).