1.08 Margeride

Ce texte est le résultat d’un agencement des choses dites par des paysagistes et leurs invités, tous embarqués dans une camionnette-voyageuse à travers l’Auvergne. Pour cet ensemble de paysages, il a été écrit à partir de tout ce qu’ils ont été capables de voir ensemble, durant les itinéraires n°04, n°05 et n°09 des ateliers mobiles des paysages qui se sont tenus les 20 et 21/06/2011 et le 19/07/2011.

1. SITUATION

Elle est avant tout un large plateau granitique à trois étages. Le premier correspond à la vaste clairière de la ville de Saugues, sorte de « bassin », très cultivé et ouvert. A l’arrière plan, les deux étages suivants : un piémont constitué par une multitude de boisements, de champs et de pâtures ; ensuite une crête très érodée, essentiellement forestière ou de lande. L’enchaînement des monts constitue cette longue échine montagneuse qui court en direction de la Lozère.

Cet ensemble appartient à la famille de paysages : 1. Les hautes terres

Les unités de paysages qui composent cet ensemble : 1.08 A Echnine de la Margeride / 1.08 B Plateaux de la Margeride / 1.08 C Bassin de Saugues / 1.08 D Plateau de Rézentières / 1.08 E Plateau de Ruynes + 4.03 E Plateau de Rageade et Lastic (Transition avec 4.03 Contreforts de Margeride).

2. GRANDES COMPOSANTES DES PAYSAGES

2.1 Le motif paysager des alvéoles granitiques, illustration d’une certaine complexité de l’organisation agricole.

Pré de fauche et pâturage humide dans une alvéole granitique non loin de Thoras
Sorte de petite plaine légèrement concave, l’alvéole granitique est un événement géologique récurrent sur le plateau de Margeride. C’est un motif paysager margeridien dont la décomposition donne une image schématique de l’organisation agricole du territoire. On y trouve les six éléments suivants :
  1. Un ensemble de prairies dont certaines sont naturelles et d’autres semées. Les prairies semées présentent des espèces peu variées (moins de cinq) quand les prairies naturelles peuvent en compter plus de dix, voire jusqu’à une trentaine ;
  2. Des prés qui incluent des bosquets de pins sylvestres le plus souvent associés à des zones d’affleurement de blocs de granite ;
  3. Des prés-bois de pins parfois encore pâturés, parfois aux sous-bois plus ou moins abandonnés (cf. ensemble des paysages de l’Aubrac, paragraphe 2.6. Les prés-bois de pins sylvestres ;
  4. Des champs de culture de seigle ;
  5. Des monticules de blocs de granite rassemblés le plus souvent sous un arbre au milieu des prés, fruits de l’épierrement des terrains agricoles ;
  6. Des groupes de pierres au milieu des champs appelés Tors. Pendants naturels des monticules artificiels issus de l’épierrement, ces tas de pierres se sont dégagés, au cours des temps géologiques, des couches de sable qui les englobaient.

2.2 Les territoires mixtes : prés-bois de pins sylvestres.

Prés-bois de pins sylvestre
Les prés-bois de pins sylvestres et les parcours des troupeaux relèvent d’un degré élevé de complexité des modes d’utilisation et de gestion du territoire. Les systèmes mixtes où plusieurs fonctions se superposent étaient fréquents et engendraient des formes spatiales courantes dans les campagnes et même dans les villes autrefois. Ils ont disparu progressivement, supplantés par les standards des pratiques spatiales développées au 20ème siècle dont le modèle tend à la juxtaposition systématique des espaces et des fonctions. Les espaces mixtes d’aujourd’hui sont notamment les prés-bois en Margeride ou les prés-vergers ailleurs (agro-foresterie). Dans ces espaces à la fois agricoles et forestiers, la simple superposition logique des pratiques est considérée comme favorable à la biodiversité. Les prés-bois tendent à disparaître. Leur préservation a été rendue difficile par les évolutions des pratiques agricoles des dernières décennies.

2.3 Des parcours à moutons à la dominance de la vache laitière.

Parc à moutons sous le mont Mouchet
Une partie des richesses et particularités paysagères de la Margeride réside dans ses prairies naturelles et ses landes à moutons. De-ci de-là, les prairies artificielles apparaissent, apportant avec elles toute une logique de simplification des éléments du territoire agricole. Les vaches laitières occupent le terrain.
Vaches pâturant sous un pré-bois de pins au-dessus de Chazeau

2.4 Les « saisons » : une culture locale de la cueillette.
Le territoire de la Margeride est en grande partie recouvert de forêts. Les pratiques de cueillette y sont toujours répandues. Le fait qu’elles aient encore un nom, les saisons, témoigne de leur implantation dans la culture des habitants de ces contrées. Etaient ramassés jadis, en grande quantité, les champignons, les myrtilles, les lichens sur les pins (pour la fabrication des parfums), les narcisses…

2.5 Les forêts sectionnales.

Scène de fauche à Bugeac
Les forêts sectionnales sont nombreuses en Margeride. Beaucoup ont été plantées en épicéa au moment de la grande politique de replantation encouragée par le Fond Forestier National dans les années 1950, ou sont issues de l’abandon des parcours et la reconquête spontanée par les pins sylvestres. Ces forêts apportent un revenu aux habitants. Il y a une quinzaine d’années, on pouvait entendre que c’était le revenu des sectionnaux qui permettait à une partie des habitants de rester sur le territoire. Comme dans d’autres territoires auvergnats de forêts d’altitude, on ne peut comprendre leur fonctionnement sans saisir cette particularité foncière.

2.6 Un paysage de communauté villageoise.
Le paysage de Margeride fait figure de symbole quand on veut parler de communauté villageoise. Les motifs de la vie collective sont nombreux et ont modelé le paysage margeridien plus qu’ailleurs. Les sectionnaux et les communautés des bois de pins fournissaient les coupes d’affouage (L’affouage est le droit qu’ont les habitants d’une commune forestière de prélever du bois dans la forêt communale à des fins domestiques). Les landes, elles aussi terres communes, servaient au parcours d’un seul troupeau de village sous la conduite d’un seul berger. Cueillette, vaine pâture, irrigation manuelle des prairies, four à pain, tout était pensé pour la communauté agro-pastorale. De toutes ces pratiques collectives perdurent ça et là le parcours de quelques troupeaux et l’exploitation collective de la forêt.

2.7 Une multitude de vallées.

Vallée forestière de l'Ance du sud
Derrière son apparence de haut plateau, la Margeride est découpée par de nombreuses vallées seulement occupées par quelques exploitations agricoles ouvrant de petites clairières au milieu des denses forêts de pente. La Seuge, particulièrement, prend parfois les allures d’un torrent impétueux. Ses berges sont taillées à pic et, par intervalles, des dykes effilés s’élancent dans le vide. L’Ance du sud, la Virlange, le Suéjols, le Panis qui descend de Vazeilles arrosent de leur côté des paysages granitiques, un peu uniformes mais qui ne sont pas sans beauté. De nombreux châteaux-forts que l’on trouvait autour de Saugues vers 1300, n’existent plus qu’à titre de souvenir, à l’état de ruines ou transformés.

3. MOTIFS PAYSAGERS

3.1 Les alvéoles granitiques, les bosquets de pins sylvestres sur affleurements granitiques, les amas naturels ou artificiels de pierres.
(cf. les grandes composantes des paysages)

3.2 L’alignement de frênes émondés : « faire la feuille ».
Plus ou moins aux abords des bourgs et hameaux, les frênes en alignement le long des parcelles agricoles ou des chemins sont encore émondés pour "faire la feuille". La pratique qui n’a jamais vraiment cessé a repris plus fortement lors de la sécheresse de 2003. L’émondage des frênes aujourd’hui relève d’une logique d’appoint de fourrage temporaire qui suit les aléas climatiques. Ils sont des signes indicateurs devenus de plus en plus rares d’un mode de relation au végétal induit par les aléas du climat.

3.3 La clôture de pierres.
Les clôtures qui ferment les champs relèvent du motif paysager : soit des poteaux de pierres, soit des murs de pierres dans lesquels sont fichés des pièces métalliques pour passer des fils. Les rapaces affectionnent ces "perchoirs-observatoires" en limite de champs.

3.4 La coiffure par en-dessous des hêtres souligne la relative absence des forêts de ce type en Margeride.
La forme coiffée par en-dessous des hêtres est un motif paysager. Les "coiffeurs-jardiniers" sont les vaches. La forêt de hêtres est rare malgré sa capacité à se régénérer à cette altitude et malgré sa qualité énergétique.

3.5 La carrière villageoise.
On rencontre parfois une excavation de moins de dix mètres de large sur trois mètres de profondeur à peine, bricolée, creusée au bord des routes. C’est une ancienne carrière à usage individuel ou villageois. Ce genre d’exploitation pour des besoins très locaux est récurrent en Margeride.

3.6 La ruine et le sureau.
De nombreuses fermes anciennes sont en ruine. Sans toiture, des bosquets de sureaux poussent entre les murs. L’association d’une ruine et du sureau noir est un motif paysager récurrent et actuel dans une partie des territoires ruraux.

3.7 L’alisier blanc et le pin sylvestre.
Les alisiers blancs isolés sont très répandus en Margeride au point qu’on puisse dire que c’est "l’arbre de la Margeride". Il est en concurrence symbolique, en quelque sorte, avec le pin sylvestre très présent qui, en bosquet au milieu des prés notamment, génère de nombreux motifs paysagers caractéristiques.

4. EXPERIENCES ET ENDROITS SINGULIERS

4.1 L’expérience des crêtes de Margeride.
Peu des crêtes de la Margeride sont aujourd’hui encore à découvert. Celles qui le sont, encore couvertes de landes, se voient de loin. L’expérience de vision à 360 degrés depuis les crêtes, de plus en plus rare, donne une impression de "flottement". Au sommet du Mont Mouchet, sur un espace de landes enclos par la forêt, un belvédère panoramique surélevé a été construit pour en faire ponctuellement et artificiellement l’expérience.

4.2 L’expérience d’un "paysage austère", fortement soumis aux aléas climatiques hivernaux.
Un qualificatif vient à la bouche quand on traverse ce genre de territoire de montagne de Margeride. C’est un paysage "austère". Le sentiment d’austérité est peut-être provoqué par le caractère binaire de son organisation : forêts denses de conifères, assez sombres, et parcelles pâturées très simplifiées de grandes dimensions. Il résulte sûrement aussi de divers signes indicateurs de "pays éloigné", encore relativement enclavé, et contraint par la rudesse des aléas climatiques. L’un d’entre eux est une forme d’aménagement singulière : à Sistrières, le dédoublement d’une voie principale en route d’hiver encore praticable quand la neige s’est accumulée sur la première. Ce sentiment d’austérité résulte peut-être encore de la physionomie de ce coin de terre qui est totalement différente suivant les saisons. D’un aspect grisâtre et monotone en automne ou en hiver, durant les chaudes journées d’été, au contraire, le contraste des moissons dorées et des bois sombres impressionne singulièrement.

4.3 L’expérience de l’étalon agricole.
Dans de nombreux endroits en Margeride, l’étalonnage de l’espace est encore établi sur la base de l’animal, et non de l’automobile comme c’est le cas dans beaucoup d’autres territoires contemporains. Un exemple est le gabarit "anormal" des espaces publics de Ruynes-en-Margeride : les rues et les places sont très largement dimensionnées. L’étalon est clairement animal. Le bourg était le site d’un marché. Comme à Fay-sur-Lignon sur le plateau du Mézenc, des hôtels ont été construits en densité importante.
Le hameau de Pompeyrin est aussi un exemple de hameau dans lequel l’étalon spatial agricole a été préservé. Les « espaces publics » n’y sont pas colonisés par une forme d’aménagement urbain mais ont conservé leur organisation et fonction agricole. Une certaine ambiance en résulte du fait que l’espace est en partie utilisé pour le stockage ou pour garer les outils agricoles…
Ce sont des exemples d’une culture autre de l’espace public, en voie de disparition, rappelée au souvenir par les foires qui se déroulent encore dans certains villages.

4.4 L’expérience d’un alignement de hêtres de sept kilomètres.
Après Pinols, la route est bordée d’un alignement de hêtres encore conséquent. Ils sont relativement âgés. Certains résistants du Mont Mouchet auraient inscrit les messages que l’on peut lire sur leur tronc. Certains hêtres ont été coupés pour élargir la route. Ils sont parfois à découvert, parfois pris dans la forêt que traverse la route.

4.5 Un territoire de la Résistance : Saugues et le Mont Mouchet.
Un ensemble de formes d’aménagements constitue aujourd’hui une sorte de « paysage de la Résistance » dans le territoire de Haute-Loire et d’Auvergne en général. La Margeride, dans ce réseau de sites de mémoire, prend une place importante du fait des événements célèbres qui s’y sont déroulés. La "montagne mémoriale" du Mouchet, centrée sur les ruines de la maison forestière, et la Vierge de Saugues en sont les témoignages les plus aisément visibles.

4.6 Les sites qui jalonnent le chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle : Saugues, Le Sauvage…
La ville de Saugues a une économie orientée sur l’accueil touristique des pèlerins du chemin de Saint-Jacques : plus de quatre cents lits. La présence de commerces actifs au centre du bourg indique cette orientation : vente de chaussures de marche, par exemple, de livres dont le sujet est le chemin de Saint-Jacques…
Le domaine isolé du Sauvage est une halte le long du chemin. La ferme a été aménagée en gîte. Jadis, elle appartenait à l’Hôpital Général du Puy-en-Velay. Elle lui fournissait des produits alimentaires. Il y a eu pendant longtemps des liens étroits de nécessité entre les grands équipements urbains et la campagne.

5. CE QUI A CHANGE OU EST EN TRAIN DE CHANGER

  • Simplification de l’occupation agricole et prédominance des vaches laitières au détriment des ovins.
    On peut trouver en Margeride un grand nombre d’exemples de mouvement de simplification de l’occupation agricole. Un exemple caractéristique est celui de grands bâtiments agricoles construits sur un promontoire, deux exploitations se partageant la croupe entre deux vallées. L’usage des sols se simplifie par suite de la construction de grandes stabulations. La culture de l’ensilage se développe remplaçant certaines pâtures. L’agriculteur transforme çà et là le vieux terroir : il nivelle les murettes, comble les « rases » des prairies (fossés, canaux de drainage), arrache quelques frênes, défriche les bruyères au girobroyeur. Les clôtures électriques se font plus nombreuses autour des prairies les mieux soignées. Une économie laitière semi-intensive prend place.
  • L’abandon des zones de parcours et l’enfrichement des prés-bois.
  • Drainage des prairies humides.
    Depuis longtemps, les prairies ont été drainées pour la pâture ou la culture. Le drainage des prairies humides est une forme de modification du milieu qui oppose aujourd’hui les agriculteurs aux exigences naturalistes.
  • Epierrement mécanique des prairies.
    Les nouveaux tas de pierres issus de l’épierrement des prairies à la machine, entassements plus grossiers, diffèrent visuellement des anciens tas issus de l’énergie animale et humaine.
  • Abandon de l’élevage de chevaux à viande.
    La Haute-Loire a été le premier département français pour l’élevage du cheval à viande de boucherie. Si dans les années 1990, il y avait encore des chevaux, ils ont aujourd’hui disparus du paysage. Leur élevage était un système extensif. Il y avait dans les bourgs des boucheries chevalines qui ont disparu. Aujourd’hui, rares sont ceux qui mangent encore du cheval. C’est la disparition d’un élément de culture culinaire.
  • Installation de « champs solaires » et de « bâtiments photovoltaïques ».
    Un projet de huit hectares de panneaux solaires est prévu au lieu dit « le Sauvage », espace actuellement utilisé en estives. Le pré est situé sous une ligne d’acheminement de l’électricité. La notion de "champ" solaire ne doit pas masquer le caractère industriel d’une telle installation de production d’énergie.
    Les agriculteurs, de leur côté, ont constitué des groupements solidaires pour organiser l’installation de panneaux solaires sur les toitures des bâtiments agricoles. Cela a permis, en réponse aux incitations gouvernementales, un développement rapide de ces "toitures énergétiques".
  • Réactivation de l’émondage de frênes pour faire la feuille.
    Depuis les dernières sécheresses, la pratique de l’émondage des frênes redevient d’actualité pour le fourrage des animaux. L’apparence des campagnes où la pratique revit est marquée par les alignements étranges de frênes émondés près des hameaux.

6. VERSION IMPRIMABLE

7. PHOTOTHEQUE

>>> Visionnez les photos

Partager la page