1.07 Devès
Ce texte est le résultat d’un agencement des choses dites par des paysagistes et leurs invités, tous embarqués dans une camionnette-voyageuse à travers l’Auvergne. Pour cet ensemble de paysages, il a été écrit à partir de tout ce qu’ils ont été capables de voir ensemble, durant les itinéraires n°01 et 03 des ateliers mobiles des paysages qui se sont tenus les 24 et 26/05/2011.
1. SITUATION
Ce plateau de Haute-Loire s’étend du nord au sud entre la ligne Vazeilles-Limandre, Saint-Paulien au nord marquant une frontière graduelle avec le plateau granitique de la Chaise-Dieu et la pointe de Pradelles au sud, créant une limite progressive avec la « montagne ardéchoise ». La vallée de l’Allier apporte une limite franche sur toute la bordure ouest. A l’est, le plateau du Devès est successivement bordé par le ruisseau de la Méjeanne, la vallée de la Loire, le bassin du Puy et la vallée de la Borne.
Cet ensemble appartient à la famille de paysages : 1. Les hautes terres
Les unités de paysages qui composent cet ensemble : 1.07 A Chaîne du Devès / 1.07 B Plateau de St-Jean-Lachalm / 1.07 C Plateau de Cayres et de Loudes / 1.07 D Plateau du Bouchet-Saint-Nicolas / 1.07 E Plateau des maars de Landos / 1.07 F Plateau de Saint Paul-de-Tartas / 1.07 G Plateau suspendu de Rougeac / 1.07 H Monts de la Durande / 1.07 I Plateau de Siaugues / 1.07 J Plateau d’Allègre et Darsac / 1.07 K Plateau de St-Paulien / 1.07 L Plateau d’Alleyrac.
2. GRANDES COMPOSANTES DES PAYSAGES
2.1 L’infiltration de l’eau.
Il y a très peu de fossés sur le plateau du Devès. Au bord des routes, dans les champs, leur absence donne une piste pour comprendre l’apparence et l’organisation spatiale de cet ensemble paysager. Le Devès est un plateau volcanique. L’eau s’infiltre aisément dans le substrat basaltique. A tel point qu’on dit couramment que « c’est une sorte de grand réservoir pour l’alimentation en eau de la Haute-Loire ».2.2 Le plus grand plateau volcanique cultivé en Europe.
De cette propension à s’infiltrer rapidement dans le socle basaltique résulte une légère déficience hygrométrique dans les sols. Associée d’une part à la barrière de sommets (Le Devès, le Mont Recours, la Visseyre, la Durande…) qui coupe le plateau en deux selon un axe nord-ouest / sud-est et d’autre part à l’altitude (le bourg de Cayres est à 1120 mètres), il en résulte des conditions micro-climatiques particulières favorables à la culture de la lentille. En 1980, on y produisait la quasi totalité de la récolte française et depuis 1996, la production est protégée par l’AOC Lentilles Vertes du Puy. C’est le plus grand plateau volcanique cultivé en Europe.2.3 Points de mire : construire sur les sommets.
Sur un sommet de « l’épine dorsale » du Devès a été construit le relais de Vazeilles-Limandre. Un peu plus loin a été érigée la tour de télécommunications du Devès. Ces installations relativement récentes renvoient directement à l’histoire des constructions qui, dans le territoire auvergnat, ont colonisé les sommets depuis les romains : du temple sur le sommet du Puy-de-Dôme jusqu’aux relais de télécommunication actuels, en passant par les installations religieuses (croix, chapelles…), par les constructions de contrôle visuel du territoire (châteaux, tours…), ou par les installations scientifiques d’observation du ciel ou des données climatiques… La tour de télécommunication au sommet du Devès est un point de mire, un point de repère visible depuis une grande partie du département au même titre que le Mézenc ou le Mont Bar.2.4 Où les cinq positions de l’arbre sur le plateau renseignent sur son organisation spatiale schématique.
A partir de cinq positions de l’arbre, très clairement perceptibles sur le plateau, on peut dessiner schématiquement son organisation spatiale. Si la forêt, en partie domaniale, donne son apparence homogène à la crête des « Monts du Devès » qu’elle recouvre (position 1), l’agencement des pratiques agricoles donne clairement son apparence au « plateau du Devès » : une combinaison de champs de lentilles et de céréales dans les terrains les plus riches, en pied de reliefs, et de prés pâturés ou prairies de fauche dans les terrains les plus bas. Des bosquets de pins sylvestres recouvrent les sommets de la plupart des gardes qui parsèment le plateau (position 2). Des bosquets plus petits se retrouvent parfois sur de légers reliefs où affleurent la roche. Là où les pelouses sèches à genévriers ne sont pas parcourues par les moutons, les pins sylvestres se développent (position 3). Quelques prés-bois (prairies boisées en bouquets qui font l’objet d’une exploitation sylvopastorale) sont encore visibles à certains endroits comme le long de la route qui remonte du Nouveau Monde vers le Bouchet-Saint-Nicolas. La plupart des parcelles du plateau sont délimitées par des murets de pierres qui sont très souvent accompagnés d’arbres (position 4). La présence de ces arbres utiles et alignés, à dominance de frênes, associés aux murs, sur un vaste espace de plateau qu’ils révèlent par contraste, participe très clairement de l’impression d’exotisme que décrit Julien Gracq lorsqu’il parle des plateaux de hautes terres auvergnates (Gracq J., Carnets du Grand Chemin, José Corti, 1992). Autour des villages, des hameaux et des fermes isolées, cette présence a tendance à s’étoffer, du fait de la quasi disparition d’un mode de gestion adapté à l’utilisation qu’on faisait de ces arbres (position 5).3. MOTIFS PAYSAGERS
3.1 Les gardes.
Un motif propre à l’ensemble paysager du Devès résulte d’une particularité de relief : la présence de cônes volcaniques formés de scories noires ou rougeâtres appelés « gardes ». Près de cent cinquante gardes aplaties sont plus ou moins bien perceptibles sur l’ensemble du plateau. Sur son axe nord-sud, les « gardes » sont réunies comme une chaîne de petits monts recouverts de forêts. Ailleurs, les autres gardes, très nombreuses, « émergent » plutôt comme des objets au milieu des champs du plateau. La plupart ont été cultivées, au moins dans leur partie basse où la terre est plus épaisse et plus riche. Leur sommet est souvent occupé par des bosquets de pins ou des affleurements rocheux. L’association d’une garde et du bois de pin qui la coiffe est très particulière au Devès.
3.2 Les maars.
Un deuxième motif résulte encore d’une particularité de relief : la présence de cratères d’explosion circulaires appelés « maars » qui accidentent le plateau. La plupart sont des dépressions occupées par une végétation spontanée adaptée aux milieux humides : le maar de Landos, le maar de la Sauvetat… Ils sont le plus souvent inventoriés comme Espaces Naturels Sensibles par le Conseil Général et référencés comme sites naturels d’intérêt communautaire. C’est un motif paysager qui pourrait être qualifié de discret parce qu’il résulte d’un relief en creux, un négatif, et que de par leur nature humide, ils sont le plus souvent en retrait par rapport aux usages et à l’occupation majoritaire des sols du plateau.
3.3 Les murets de pierres.
Les murets de pierres qui délimitent les parcelles sont, au-delà de l’habitat ancien, les éléments construits les plus caractéristiques du Devès. Ils sont le résultat de l’épierrement progressif des sols depuis des siècles par les habitants du plateau pour les cultiver où les rendre pâturables. La hauteur des murs peut y atteindre deux mètres. Des abris, sortes de cabanes de pierres intégrées, ont parfois été construits dans ces murs. C’est un motif paysager d’un genre particulier. Ils sont tout simplement l’expression d’une culture résultant d’un mode difficile de relation au milieu (nécessité d’épierrer les sols et de s’abriter de la rigueur du climat sur le plateau).
4. EXPERIENCES ET ENDROITS SINGULIERS
4.1 Le plateau d’altitude.
Une des grandes caractéristiques et singularités de l’Auvergne, plus largement du Massif Central, ce sont ses vastes plateaux d’altitude plutôt que ses sommets. L’expérience qu’on peut avoir du Devès a quelque chose à voir avec celle de la planèze de Saint-Flour par exemple, ou des plateaux basaltiques du Cézallier… Pour un nouvel arrivant, qui découvrirait l’Auvergne, l’expérience de ces plateaux perchés est du même ordre et de la même intensité que celle de voir la mer pour la première fois. Julien Gracq a décrit la découverte de ces paysages en soulignant le « sentiment d’exotisme » qu’ils procurent ("Tout ce qui subsiste d’intégralement exotique dans le paysage français me semble se cantonner là : c’est comme un morceau de continent chauve et brusquement exondé qui ferait surface au-dessus des sempiternelles campagnes bocagères qui sont la banalité de notre terroir". Gracq J., Carnets du Grand Chemin, José Corti, 1992).
4.2 Le lac du Bouchet.
Le plus beau cratère d’explosion du plateau du Devès abrite l’un des lacs les plus profonds et les plus mystérieux d’Auvergne : le lac du Bouchet. C’est un espace étrange entouré en partie d’une hêtraie. Il a pour singularité mystérieuse qu’aucune source, aucun cours d’eau ne l’alimente apparemment. Un épisode célèbre du récit de l’écrivain anglais Robert Louis Stevenson (Stevenson R.L., Voyage avec un âne dans les Cévennes, 1879) a lieu au lac du Bouchet. Le récit de son cheminement a été transformé en itinéraire qui traverse le plateau du Devès du lac du Bouchet à Pradelles.
5. CE QUI A CHANGE OU EST EN TRAIN DE CHANGER
- La disparition d’une garde.
La garde de Bizac a progressivement disparu du fait de son exploitation en carrière pour la pouzzolane. Ce que l’on peut voir : les "restes" d’un relief. La disparition intégrale d’un relief est un événement rare assimilable par exemple à ce que peut produire la mise en eau d’un barrage. - La disparition progressive des murets et de la culture dont ils sont l’expression.
L’abandon de cette culture est perceptible dans certains signes : certains murs sont doublés par des barbelés quand les parcelles sont dédiées à l’élevage ; certains murs résultent d’un épierrement mécanique ; beaucoup de murets s’affaissent et s’effacent lentement… - La densification de la présence des arbres autour de certains hameaux agricoles.
Petit-à-petit, les arbres (essentiellement des frênes) autour des hameaux, qui autrefois étaient utilisés pour des raisons diverses (fourrage, bois…) le sont moins aujourd’hui. De fait, moins entretenus, leur feuillage se développe, de nouvelles pousses sont laissées, et leur présence est plus grande. - L’enfrichement de certains petits vallons.
Trop éloignés des villages, ils ne sont plus entretenus par les vaches laitières. L’implantation d’un village en tête de vallon garantit encore son entretien contre l’enfrichement. - Le rôle du lac du Bouchet.
Le lac du Bouchet devient une véritable "infrastructure naturelle de proximité" pour l’agglomération du Puy-en-Velay. - L’apparition des éoliennes.
Un "champ" d’éoliennes a été "planté" vers Saint-Jean-Lachalm. Elles émergent de la forêt. - La prise de conscience de l’importance des maars et zones humides comme éléments discrets de richesse naturelle.
La préservation naturaliste des maars comme celui du marais de Limagne ou celui du Pechay à Costaros tend progressivement à rendre évident l’importance identitaire de ces formation volcaniques singulières. - La disparition quasi complète des prés-bois.
Forme plus ordinaire que les formes géologiques de maars, résultant d’une pratique ancestrale, les prés-bois pourtant peu courant en Auvergne et largement associés aux systèmes sylvopastoraux des plateaux d’altitude, disparaissent progressivement sans éveiller l’attention. - Les extensions des bourgs, villages et hameaux.
Ce phénomène s’accentue à proximité de l’agglomération du Puy-en-Velay.
6. VERSION IMPRIMABLE
7. PHOTOTHEQUE
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