1.06 Aubrac

Ce texte est le résultat d’un agencement des choses dites par des paysagistes et leurs invités, tous embarqués dans une camionnette-voyageuse à travers l’Auvergne. Pour cet ensemble de paysages, il a été écrit à partir de tout ce qu’ils ont été capables de voir ensemble, durant l’itinéraire n°9 des ateliers mobiles des paysages qui a été effectué le 19/07/2011.

1. SITUATION

« Par ses hauts plateaux et ses paysages, l’Aubrac n’est pas sans rappeler le Cézallier, dont il diffère toutefois sensiblement. Le relief est celui d’un vaste plateau vallonné et doucement ondulé en larges plans successifs. Dans ce territoire haut perché et au relief peu accidenté, le regard porte très loin, aucune barrière visuelle majeure ne venant masquer la vue jusqu’à des horizons lointains » (source : Atlas départemental des paysages du Cantal).

Cet ensemble appartient à la famille de paysages : 1. Les hautes terres

Les unités de paysages qui composent cet ensemble : 1.06 A Plateau de St-Urcize / 1.06 B Plateau de Trinitat / 1.06 C Caldagès

2. GRANDES COMPOSANTES DES PAYSAGES

2.1 Un plateau d’altitude très peu habité, à la marge de l’Auvergne.

Herbage et averses orageuses dans les environs de Requistat
Le plateau de l’Aubrac, entre 1000 et 1400 mètres d’altitude, appartient à la famille d’ensembles de paysages des Hautes-terres dont l’expérience est typiquement auvergnate. Une des grandes caractéristiques et singularités de l’Auvergne, plus largement du Massif Central, ce sont ses plateaux d’altitude, plutôt que ses sommets. L’expérience de tels plateaux pour un nouvel arrivant est du même ordre et de la même intensité que l’expérience de quelqu’un qui voit la mer pour la première fois. La localisation de l’Aubrac sur une marge de la région, à cheval avec deux autres régions (Midi-Pyrénées et Languedoc-Roussillon) et deux autres départements (l’Aveyron et la Lozère), très éloignée de Clermont-Ferrand, son caractère très inhabité (c’est la partie d’Auvergne qui, après la Margeride, a la plus faible densité de population), très directement lié aux conditions rigoureuses du climat (certaines années, le plateau peut disparaître longtemps sous la neige) et sa renommée à l’échelle nationale lui confèrent une dimension d’espace "désertique" de plateau d’altitude éloigné et "marginal", à l’écart des grandes activités des plaines.

2.2 Les vaches qui portent le nom de l’ensemble de paysage.

Portrait de vache Aubrac
L’existence de la vache Aubrac, motif paysager du plateau, joue certainement un rôle important dans la large renommée de ce territoire.

2.3 Des terres d’estives par excellence.

Pâturages des environs de Saint-Urcize
Du fait de son altitude, le plateau connaît des conditions climatiques sévères et contraignantes et n’autorise quasiment aucune autre culture que celle de l’herbe. Le plateau est essentiellement voué aux pâturages et aux prairies de fauche. Les parcelles, sur les secteurs plats, constituent de grandes étendues d’herbages. Issu de très anciennes traditions d’élevage, d’abord ovin puis exclusivement bovin, le plateau d’Aubrac ne doit son paysage actuel qu’à la présence de nombreux troupeaux en période d’estive. Le morcellement de la propriété, mais surtout le passage du système fromager au système allaitant a provoqué l’apparition de clôtures en barbelés ou en fils électriques, supplantant le berger devenu inutile. Les évolutions qu’a connu l’activité agricole n’ont pas provoqué de profondes transformations des paysages. La surface agricole utile est en effet restée quasi exclusivement constituée de surfaces toujours en herbe.

2.4 Deux variations de l’Aubrac cantalien.

  1. La partie nord de l’Aubrac est plus basse en altitude et plus boisée. Le plateau granitique se démarque par son origine géologique et les morphologies qui y sont associées. Issu d’une intrusion de granite, il a subi les effets très perceptibles de l’érosion qui se traduisent par un moutonnement de ses lignes aux courbes atténuées, des vallons latéraux au creusement peu prononcé, des blocs épars de granite en boule… De nombreux ruisseaux (Remontalou, Levandès, ruisseaux de Maleval, de Nazat…) ont entaillé sa surface, multipliant les vallons et les gorges. Les perspectives visuelles y sont courtes. Le regard heurte sans cesse les versants abrupts. La forêt recouvre les pentes des vallons. Le hêtre y est majoritaire. (Source : Atlas départemental des paysages du Cantal).
  2. La partie sud de l’ensemble de paysages est plus élevée en altitude et moins boisée. Les plateaux sont le domaine des prairies et de quelques cultures de céréales. La rupture de pente entre les versants abrupts et la surface plane du plateau est souvent brutale, soulignée par une végétation qui se démarque très nettement à ce niveau. (Source : Atlas départemental des paysages du Cantal).

2.5 « Paysage archétypique ».

Blocs erratiques de la haute vallée du Bès
Les prairies caillouteuses pâturées de manière extensive sont un "archétype" de l’image de l’Aubrac. Les prairies sont parfois traversées par des drayes, chemins entourés de murets de pierres pour guider les troupeaux. La grande taille des terrains donne l’impression d’un parc gigantesque parcouru par le bétail. Il y a beaucoup d’espace par rapport à la taille du cheptel si bien que la végétation naturelle ne subit pas une forte pression. Le genêt est installé mais progresse peu. Certains prés sont couverts de gentianes selon un espacement et une densité typique. Cette partie de l’Aubrac est l’archétype d’un territoire exploité de manière extensive.

2.6 Les prés-bois de pins sylvestres.
Certaines parcelles, clôturées, sont découpées clairement en plusieurs zones : des prés à herbe rase et genêts et un sous-bois de pins clair. Le bois pâturé apporte un complément alimentaire au troupeau. Parfois, de plus grandes forêts de pins sont plus ou moins pâturées. Les prés-bois de pins sylvestres sont un motif paysager historique de l’Aubrac. Ils tendent à disparaître progressivement du fait de la perte du savoir faire qui favorisait la régénération naturelle des pins. Traditionnellement, comme en Margeride, un système de rotation trentenale était utilisé pour gérer les bois et bosquets de pins sylvestres exploités en prés-bois. Pendant dix ans, le pré-bois était parcouru par les bêtes. Ces dix années précédaient l’arrivée à maturité des pins sylvestres. On coupait alors les pins matures et on dessouchait le terrain. On laissait repartir les nouvelles pousses pendant dix ans. On plantait du seigle pendant les dix années suivantes. Pendant ce temps, le pin se développait. Puis, on gérait de nouveau le bois en pré-bois…

2.7 La couleur des bouleaux et des genêts.

Pré-bois de bouleaux vers Saint-Urcize
Sur le plateau dans sa partie nord, la présence des boisements de bouleaux exploités supplante et contraste avec celle des forêts de hêtres des gorges qui le limitent (gorge de la Truyère et du Bès). La couleur des bouleaux au printemps et à l’automne, comme celle des genêts en fleurs, contribue à marquer nettement le passage bref des saisons.

2.8 Une place pour les genêts… et pour les rapaces.
Les genêts occupent souvent la bande étroite de terre au pied des clôtures qui séparent les prés de la route. A tel point que l’agencement clôture-bande étroite de genêts devient progressivement un "motif paysager" de l’Aubrac. Les piquets de clôture sont en bois. Les rapaces les utilisent volontiers comme postes d’observation. A noter que dans la planèze de Saint-Flour plus au nord, le DOCOB (Document d’Objectifs) du site Natura 2000 incite les agriculteurs à poser des clôtures en plantant des piquets en bois qui sont accueillants pour les rapaces et participent d’un environnement qui leur est favorable.

2.9 L’omniprésence discrète du minéral.

Tas d'épierrement récent et haie de frênes à Saint-Urcize
Cette présence prend une forme naturelle issue de l’érosion (boules, chaos), ou résulte d’une utilisation par l’homme, souvent très ancienne :
  1. Blocs de granite souvent imposants érodés en boules et dispersés sur le plateau ;
  2. Murets de pierres sèches délimitant les parcelles ; les pierres sont issues de l’épierrement des sols et matérialisent les limites de propriété ;
  3. Piquets de clôture constitués de colonnes de granite fichées en terre, supportant plusieurs rangées de barbelés ; les colonnes situées à l’angle ou en bordure de l’entrée des parcelles possèdent des encoches taillées destinées à assurer le maintien des fils. De plus en plus, les piquets de bois remplacent ce matériau ;
  4. Murs des bâtiments d’habitation et d’exploitation, constitués de blocs de granite pouvant atteindre des volumes considérables, en chaînage d’angle ou en appareillage d’ouvertures. La perception que l’on a de ces bâtiments est souvent surprenante en particulier lorsqu’ils jouxtent des chaos naturels.

2.10 Habitat et installations humaines en position dominante très visibles de loin.
Les hameaux et les bourgs se répartissent presque systématiquement en position dominante : rebord de plateau, tête de vallon, revers de colline… On y a recherché une exposition au sud ou au sud-est. Ils sont, de ce fait, très visibles de loin. D’autres formes d’installations humaines occupent aussi les légers reliefs, les petits promontoires, les légères ondulations du relief qui parsèment le plateau. Ici quatre grands tilleuls avaient été plantés autour d’une croix installée sur un petit promontoire. Là une pierre "commémorative" a été installée dans un bosquet de pins sur un léger relief… Ces signes religieux ou mémoriaux contribuent au système de repérage très élaboré constitué au fil du temps par les habitants du plateau pour ne pas s’y perdre par mauvais temps.

2.11 Trois signes de ruralité : la fauche verticale, le hameau rural, le son de l’épicier.

  1. La « fauche verticale ». Autour d’une grande stabulation, au bord de la route départementale 13 qui permet de remonter les gorges du Bès en direction de Saint-Rémy-de-Chaudes-Aigues, de longs alignements de frênes ont été émondés. L’émondage des frênes est appelé fauche verticale. C’est une pratique encore largement répandue dans les zones agricoles d’altitude comme l’Aubrac et la Margeride.
  2. Des hameaux qui gardent leur caractère rural. Requistat est un hameau rural. C’est-à-dire, un hameau qui a conservé une forme, une organisation et un dimensionnement d’origine rurale. C’est encore très perceptible dans le caractère très distendu des espaces du village. C’est un hameau de fermes dont les espaces extérieurs ont des dimensions qui reflètent l’usage agricole qui en est encore fait. Cet "étalon rural" de l’espace des hameaux a disparu dans beaucoup de parties de l’Auvergne.
  3. Le son de l’épicier. Le son du camion de l’épicier qui, en klaxonnant, signale sa présence aux habitants de la campagne est un signe qui se raréfie à notre époque. Il existe encore en Aubrac. La disparition de tels sons a changé l’environnement ordinaire des habitants de ces campagnes depuis une quarantaine d’années. Il persiste ou "réapparaît" par nécessité dans des zones très à l’écart. Ce genre de sons a scandé le quotidien d’un passé qui n’est pas si lointain de la même manière que les cloches de village ont scandé durant longtemps les journées des travailleurs des champs, il y a bien plus longtemps (cf. Corbin A., Les cloches de la terre ; paysage sonore et culture sensible dans les campagnes au XIXème siècle, Albin Michel, 1994.).

2.12 Les chaudes eaux de "Chaudes-Aigues".

Réhabilitation / extension sur les hauts de Chaudes-Aigues
A Chaudes-Aigues, une trentaine de sources fournissent de l’eau chaude dont la température est comprise entre 45°C et 82°C. Les habitants de la petite ville ont exploité cette particularité depuis longtemps. Le site est une station thermale. Le réseau de chauffage du bourg est entièrement alimenté par les sources d’eau les plus chaudes. Les eaux sont réservées au chauffage des habitations en hiver et canalisées dès le printemps vers l’établissement thermal. C’est un exemple qui constitue une singularité dans l’arsenal de nos aménagements de production d’énergie. C’est aussi un rare exemple parmi ces derniers pour lequel une particularité du milieu a un effet direct sur la vie des habitants, à savoir l’exploitation locale d’une source énergétique sur le lieu de sa production. La simplicité de cette situation met clairement en évidence la complexité de processus qui sous-tend à l’inverse les autres formes d’aménagement du territoire qui visent à produire de l’énergie (recherche d’un terrain, implantation d’équipements "chez les habitants", acheminement de l’énergie hors site pour la revendre, logiques de compensation…). Chaudes-Aigues est sur la route des villes d’eau. Comme dans toute ville thermale, de nombreuses infrastructures ont été construites pour accueillir les visiteurs qui, du curiste, a évolué en touriste. Un centre aqualudique a été construit. Les terrasses sur les versants qui entourent la ville sont toutes à l’abandon.

3. MOTIFS PAYSAGERS

Photothèque en bas de page

3.1 Cinq signes récurrents de la présence humaine sur le plateau : les drailles ("drayes"), les piquets en pierre, les alignements de frênes émondés, les burons, les sorbiers au contact des fermes et des villages.
De nombreux chemins délimités de part et d’autre par des murets de pierres sèches, les drailles, sillonnent les plateaux pour l’acheminement des troupeaux aux estives. Leur niveau de présence contribue fortement à l’atmosphère minérale singulière de l’Aubrac. Idem pour les piquets des clôtures traditionnellement érigés en granite. Les alignements de frênes émondés le long des voies de communication parfois combinés avec des murets de pierres sèches constituent un troisième élément-motif des pratiques agricoles locales.
Comme les signes religieux sur les légers reliefs, les burons accrochent le regard, lorsqu’ils sont vus en contreplongée. Bâtis en blocs de basalte, ils sont aussi de rares éléments de référence à la présence de l’homme dans les estives. Enfin, autre signe, près des fermes, les sorbiers sont encore très fréquents. Leur pouvoir attractif pour les oiseaux était connu des chasseurs de grives.

3.2 Les sagnes.
Des zones humides appelées sagnes occupent les dépressions où s’accumulent les eaux de ruissellement. Ces vallons, s’ils offrent peu d’intérêt agricole, recèlent par contre une grande richesse floristique liée aux zones humides, que le drainage ou le reboisement feraient disparaître. Des aides à l’agriculture (mesures agri-environnementales) en garantissent la pérennité.

3.3 Les bois de hêtres.
Ces bois de hêtres sont le témoignage relictuel de l’ancienne forêt d’Aubrac, qui couvrait tout le plateau avant sa mise en valeur agricole.

4. EXPERIENCES ET ENDROITS SINGULIERS

Photothèque en bas de page

4.1 L’expérience du seuil du plateau en venant du nord : on "entre" sur le plateau.
A Maurines, en direction d’Anterrieux, on passe progressivement sur le plateau de l’Aubrac. Les bouleaux apparaissent. Des landes aussi, parsemées de bois pâturées.

4.2 L’expérience sonore.
La vie quotidienne est marquée par une ambiance sonore dont la présence est accentuée par l’apparence relativement dénudée du plateau. Comme dans une grande partie des espaces de ce genre, une sorte d’équivalence sensible entre le visible et le sonore s’établit.

4.3 Le village martyr d’Anterrieux.
Anterrieux est un village martyr. Les constructions y ont été incendiées par les allemands lors de leur déroute de 1944 par la même division qui a commis le massacre d’Oradour-sur-Glane. Le désastre est lisible dans la manière dont les fermes ont été reconstruites ou réhabilitées. Elles se démarquent des fermes blocs anciennes du plateau par des ajouts de parties modernes en parpaings… Un musée dans le village conserve la mémoire de ce jour. Le village fait partie des paysages importants de lieux de mémoire de la deuxième guerre mondiale en Auvergne.

4.4 L’expérience des variations nettes de couleur selon les saisons.
Selon les saisons, les paysages sont très changeants : à l’enneigement hivernal très monotone succède une explosion de couleurs au printemps, lorsque la végétation redémarre. En période de fenaison, à partir de la mi-juillet, l’Aubrac se teinte d’un camaïeu de verts et de jaunes et révèle, pour une courte période, un aspect jardiné rare dans les massifs voisins à cette altitude.

5. CE QUI A CHANGE OU EST EN TRAIN DE CHANGER

  • L’épierrement mécanique des pâturages.
    Les besoins de la mécanisation et les moyens techniques de destruction tendent à faire disparaître peu à peu les chaos naturels.
  • L’abandon de l’ensilage.
    L’ensilage est progressivement abandonné. Une préférence est donnée aux techniques plus traditionnelles de fourrage à sec (foin).
  • L’apparition de constructions et de restaurations contemporaines du bâti, la modernisation des bâtiments d’exploitations agricoles.
    La modernisation disséminée du bâti donne au territoire de l’Aubrac un nouveau visage. La rareté du bâti rend toute évolution très évidente et apparente.

6. VERSION IMPRIMABLE

7. PHOTOTHEQUE

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