1.04 Artense

Ce texte est le résultat d’un agencement des choses dites par des paysagistes et leurs invités, tous embarqués dans une camionnette-voyageuse à travers l’Auvergne. Pour cet ensemble de paysages, il a été écrit à partir de tout ce qu’ils ont été capables de voir ensemble, durant les itinéraires n°13 et n°16 des ateliers mobiles des paysages qui se sont tenus les 29/09/2011 et 25/10/2011.

1. SITUATION

L’érosion a organisé le territoire en gorges profondes et spectaculaires difficiles à franchir et à découvrir : pays coupés (3.03), et en plateaux bombés qui portent l’essentiel des activités humaines : le plateau d’Artense.

Cet ensemble appartient à la famille de paysages : 1. Les hautes terres

Les unités de paysages qui composent cet ensemble : 1.04A Plateau de Saint Genès / 1.04B Plateau de Montboudif / 1.04C Plateau d’Egliseneuve-d’Entraigues (Transition avec 1.03 Cézallier) / 1.04D Plateau de la Tour-d’Auvergne

2. GRANDES COMPOSANTES DES PAYSAGES

2.1 Une "Haute-Terre" : l’expérience d’un plateau d’altitude au relief peu prononcé.

Dans la tourbière du bois de la Masse
L’Artense est essentiellement un plateau d’élevage en altitude entre 900 mètres et 1200 mètres au relief très peu prononcé. Ce plateau fait partie de la famille des Hautes-Terres, très caractéristique des paysages auvergnats. Les terrains y sont en grande partie granitiques ou métamorphiques, mais des phénomènes volcaniques, périphériques au massif du Sancy, ont laissé des traces qui apparaissent localement comme les pointements basaltiques de la Tour-d’Auvergne par exemple. L’érosion glaciaire a remodelé le territoire en créant notamment une suite de buttes et de cuvettes et en laissant sur place une série de blocs erratiques typiques.

2.2 S’y rendre prend du temps.

Boisement résineux entre Saint-Genès-Champespe et Picherande
C’est peut-être, parmi les Hautes-Terres de l’Auvergne, avec le Cézallier son voisin, l’ensemble de paysages d’Auvergne qui parait le plus isolé et le plus éloigné par rapport aux grands axes de communications et aux grandes agglomérations urbaines. S’y rendre prend du temps, et ce n’est ni un axe de passage, ni une réelle destination sinon pour ses habitants. D’où la sensation d’éloignement qui peut accompagner celui qui s’y rend aujourd’hui.

2.3 Le contraste entre l’impression d’une forte présence humaine donnée par la répartition ancienne du bâti et la réalité d’une très faible démographie.

Depuis les hauts de Chastreix en direction de l'Artense
C’est un territoire très peu habité. Cependant, la répartition relativement homogène et éparpillée de l’habitat y donne une impression trompeuse de forte présence humaine. En effet, il y a une nuée de fermes sur le plateau de l’Artense, parfois isolées parfois groupées par deux ou trois. Dans le secteur de la Tour-d’Auvergne notamment, l’habitat s’organise en grosses unités agricoles dispersées qui renforcent cette impression. La plupart du temps largement dégagés sur des lignes de relief, les bourgs de petite taille, aux couleurs qui se fondent à celles de la roche, dominent. Leur silhouette sert de point de repère. Mais la présence du bâti dans ces territoires à la vue dégagée est trompeuse et ne correspond pas aux évolutions récentes de la démographie.

2.4 La présence des pierres disposées par l’homme : murets et blocs de pierres entassés.

Epierrement et fougères sur le plateau de Saint Genès
L’impression de présence humaine est accentuée encore par celle de la pierre organisée et travaillée par l’homme. Comme en Margeride, des murets de pierres bordent souvent les routes sur les deux côtés. L’Artense est un bocage d’altitude avec beaucoup de murets surmontés de frênes et de noisetiers. Mais aujourd’hui, les fougères recouvrent beaucoup de prairies et les murets disparaissent. De plus, des plantations d’épicéas ont réduit considérablement et depuis plus longtemps l’emprise des prairies. Comme en Margeride aussi, des blocs de pierres issus d’un épierrement à la machine sont rassemblés au milieu des prés. Très souvent, des prunelliers se sont installés dans les amas et forment des petits bouquets de végétation isolés. Ces amas de pierres et bouquets d’arbustes sont aujourd’hui un motif paysager du plateau.

2.5 L’expérience de la montée sur le plateau par l’ouest.

  1. L’abandon des prairies.
    Dès que l’on s’extirpe des gorges du réseau d’affluents de la Dordogne, entièrement boisées, et que l’on progresse vers le bord du plateau de l’Artense, on commence à prendre conscience de ce qui se passe aujourd’hui sur le plateau. Au bord de la route, dans un vallon de prairies ouvertes entourées de forêts mixtes de résineux et de feuillus le long de la Mortagne (affluent du Chavanon), une parcelle est colonisée progressivement par les fougères et les genêts. L’Artense est un îlot non volcanique entre les massifs, à l’écart et peu couru. La terre n’y est pas de grande qualité. La zone de transition entre les gorges et le plateau est en grande partie boisée. Les espaces de prairies sont de plus en plus laissés à l’abandon.
  2. Panorama en voie de simplification.
    C’est au moment où l’on sort de la forêt de versant que l’on aperçoit clairement que le plateau granitique relativement plat de l’Artense est érodé par la Dordogne et ses affluents. A ce moment précis s’opère le basculement effectif du paysage des gorges de la Dordogne et de ses affluents au paysage de plateau qu’est l’Artense. Au bord du plateau, alors que la forêt de feuillus recouvre les versants des gorges, les prairies restantes et ponctuelles ont tendance à être plantées d’épicéas. La plantation des parcelles de prairie en forêt génère une simplification du paysage, accentuée par l’extrême simplicité visuelle du plateau à découvert, creusé nettement par les rivières. La vue panoramique depuis la route départementale 73 en direction de Larodde est une vue assez synthétique du pays. L’Artense a un air de famille avec la Margeride dans ses évolutions récentes. La forêt, principalement celle des épicéas plantés, encercle les hameaux comme celui du Mont par exemple. Une seule prairie reste ouverte au bord du village. A côté d’un bois d’épicéas, la couleur de l’herbe d’une prairie indique une forme d’intensification de son exploitation.

2.6 « La maison à vendre fait partie du paysage ».
A l’entrée du bourg d’Aulnat par la route départementale 25, une haie de noisetiers pousse sur un ancien muret de pierres qui délimitait des parcelles agricoles. Une maison est à vendre. La présence des maisons à vendre dans l’Artense aujourd’hui est telle qu’on peut dire que « la maison à vendre fait partie du paysage » et que c’est un motif paysager actuel de l’Artense. Les jeunes quittent l’Artense et les personnes âgées meurent. Les terres ne sont pas aussi favorables que sur les plateaux volcaniques et l’éloignement de la ville, la difficulté d’accès en hiver se font plus sentir que par le passé. Le plateau de l’Artense et sa "désertification progressive" illustre les conséquences actuelles de l’enclavement de certains territoires auvergnats. Les maisons à vendre en sont un symbole.

2.7 Scènes-types de déprise agricole.

Versant pâturé ou pas à proximité de Saint-Genès-Champespe
Le long de la route départementale 129 en direction de Saint-Donat, un petit relief est recouvert de fougères. Un grand hêtre se dresse presque à son sommet et abritait les animaux. Des genêts et quelques arbustes ont poussé à travers la nappe de fougères. Un chemin a été maintenu au girobroyeur pour traverser les fougères et atteindre le sommet. Le coteau est abandonné presque entièrement à la friche. Les rares endroits où la prairie est encore maintenue créent un contraste net avec la fougère. En bas, des prairies humides sont envahies par les joncs. La scène est typique de la déprise agricole de l’Artense. Au bout de quinze ans, la fougeraie deviendra bosquet. Au bout de vingt cinq ans, un bois. Sur les estives du Cézallier et du Cantal, les prix montent jusqu’à six mille euros l’hectare. Mais ici, les terres sont à moindre prix et ne se vendent pas. Les éleveurs du plateau font majoritairement un élevage extensif de vache allaitante. Plus on s’aventure dans les espaces les plus isolés de l’Artense, plus ces espaces s’enfrichent et tendent à se fermer. Les grandes prairies maintenues ouvertes côtoient les zones en partie à l’abandon, pâturées par quelques vaches au milieu des genêts, ce qui reste de prairie étant le chemin qu’elles tracent en pâturant. Le nombre de bêtes à l’hectare est insuffisant pour maintenir les prairies ouvertes.

2.8 L’eau : lacs, milieux humides et zones de tourbières.

Sous l'averse
L’une des plus belles particularités de l’Artense est sa richesse en eau : lacs (lac Pavin, lac de La Landie, Lac d’Esclauze, Lac Chauvet, complexe de Lacs de la Crégut…), zones humides et tourbières… L’Artense est un massif riche en tourbières. C’est un motif paysager à l’aspect variable en fonction du degré d’atterrissement, d’enfrichement et de drainage artificiel. Les tourbières ont joué un rôle important dans le passé pour la vie ordinaire des habitants de ces zones. En 1992, il y avait encore un habitant à Espinchal qui était le dernier à se chauffer à la tourbe. La "tourbière suspendue" du Bois de la Masse est peut-être le plus beau site de tourbière du plateau (cf. Expériences et endroits singuliers : "la tourbière" suspendue du Bois de la Masse).

2.9 La disparition d’un mode de vie possible sur les hauts plateaux : cueillette et piégeage.
Il y a trente ans, au marché de la Bourboule, on pouvait encore rencontrer un homme qui ne vivait que de cueillette et de piégeage. Il vivait de la cueillette des bourgeons de sapins, des champignons, du houx, de la gentiane, des têtes de narcisses et de jonquilles pour la parfumerie, des crocus… Il vendait son miel et des peaux au pelletier.

3. MOTIFS PAYSAGERS

3.1 Les blocs erratiques.
L’érosion glaciaire a laissé des suites de blocs erratiques, qui émergent d’un substrat au modelé doux, occupé par des prairies, ou des landes à genêts et à bruyères.

3.2 Les murets et amas de blocs dans les champs.
(cf. Grandes composantes des paysages : la présences de pierres disposées par l’homme.)

3.3 Les tourbières et zones humides plus ou moins importantes.
(cf. Grandes composantes des paysages : L’eau… + Expériences et endroits singuliers : la "tourbière suspendue" du Bois de la Masse.)

3.4 Les arbres des bords de villages (tilleuls, frênes), les arbres isolés et les alignements d’arbres en bord de route.

3.5 Les « maisons à vendre ».
(cf. Grandes composantes des paysages : « la maison à vendre fait partie du paysage ».)

4. EXPERIENCES ET ENDROITS SINGULIERS

4.1 L’expérience des routes avec vues panoramiques sur les Monts Dore.
Exemple depuis la route départementale 25 en direction d’Aulnat depuis Larodde : panorama sur les Monts Dore. La présence récurrente des Monts Dore accompagne l’expérience du plateau de l’Artense.

4.2 L’expérience des points de repères religieux.
Exemple de Notre-Dame-de-Natzy, perchée sur une colline voisine de La Tour-d’Auvergne, au bord de la route de Tauves. La Vierge domine la région, postée sur une petite chapelle en pierre de lave noire. On devine à sa situation et sa taille imposante, l’importance qu’elle a pu avoir dans le pays.

4.3 La "tourbière suspendue" du Bois de la Masse.
Depuis le hameau de La Morangie, un chemin mène à l’immense "tourbière suspendue" du Bois de la Masse. Une coulée basaltique a créé une sorte de cirque isolé, surélevé par rapport au plateau, constitué d’éboulis sur les versants recouverts d’une forêt dense de hêtres (Bois de la Masse) et d’une vaste zone de tourbières plane au centre. Un relief recouvert d’un bois de hêtres forme une île singulière au milieu de la tourbière. L’endroit est tellement isolé que la loutre y a élu domicile. Une épreinte toute fraîche sur une grosse pierre plate au bord d’un ruisseau indique sa présence. La présence de coquilles de crustacés dans l’épreinte indique le menu de la loutre et la présence d’écrevisses dans la zone. La multitude de trous d’eau servent aux amphibiens pour se reproduire.
Le terme métaphorique de "tourbière suspendue" souligne sa situation singulière et correspond à l’atmosphère qui s’en dégage. Elle rapproche l’espace naturel de l’idée de "jardin suspendu" dans le sens des "jardins suspendus lointains, mystérieux et perdus de Babylone". La dénomination crée une ambiance.
La tourbière se trouve en limite entre l’ensemble de paysages du plateau de l’Artense et celui des Monts Dore (1.02).

4.4 L’expérience du "Pôle multiservices".
A Saint-Genès-Champespe, l’église a été construite sur un affleurement rocheux un peu au-dessus du village. Un escalier permet de descendre depuis l’église au "pôle multiservices" du bourg. L’endroit est tel qu’on s’imagine qu’il devait y en avoir dans toute la région il y a une cinquantaine d’années. L’enseigne au-dessus de la porte indique : « BAR, TABAC, PRESSE ». C’est aussi une quincaillerie, une droguerie, un commerce de souvenirs, un magasin de jouets… Un autre panneau qui a l’air plus ancien au-dessus d’une fenêtre indique : « TABAC, BRICOLAGE, TABAC, QUINCAILLERIE ». Devant la maison, un espace bétonné au sol fait office de terrasse de café et de station service. Un vieux poste à essence semble toujours en fonction. Deux panneaux d’affichage mobiles disposés sur le trottoir, un banc ancien légèrement oblique près de la porte et quelques pots de géraniums sur le sol ou suspendus au balcon en fer forgé au-dessus de la porte d’entrée du commerce finissent de donner à l’endroit le charme de l’atmosphère d’une époque un peu révolue.

4.5 Le "jardin des orgues" de La Tour-d’Auvergne.
Au centre du bourg, l’église a été construite au pied des orgues basaltiques (formations rocheuses d’origine volcanique dont la forme évoque celle d’un orgue). Le motif paysager auvergnat des orgues fait partie intégrante de la petite place de l’église. Les orgues servent de fond à une ancienne croix. La statue du monument au mort a été placée au centre de la place. C’est un rare exemple de présence naturelle forte sur une place publique. Les orgues sont recouverts de mousses, de lichens et de quelques herbes… Un arbuste a trouvé sa place. C’est un jardin vertical naturel au milieu d’une place publique. Des plantations plus horticoles ont été faites sur un petit espace à leur pied.

4.6 Le complexe de lacs de La Crégut et Lastioulles.
Le lac d’origine glaciaire de La Crégut est entouré de lacs de barrage : le lac de Lastioulles, le plus grand de ce complexe de lacs ; le lac du Tact ; le lac du Taurons ; et un peu plus loin, le lac de Laspialade. Il se trouve au centre d’un complexe hydraulique entre la Tarentaine et la Rhue qui alimente à la fois l’usine d’Auzerette au niveau du barrage de la Rhue et Bort les Orgues, par de longues conduites d’amenées. Les rives très découpées des lacs, notamment celles de Lastioulles, les îlots émergeant, les presqu’îles, les petites falaises tombantes dans les eaux (du lac de La Crégut par exemple) et le caractère doucement vallonné des environs génèrent une atmosphère singulière et unique en Auvergne que certains rapprochent des "ambiances scandinaves".

5. CE QUI A CHANGE OU QUI EST EN TRAIN DE CHANGER

  • La déprise agricole sur le plateau et sa désertification (cf. Grandes composantes de paysages : scènes types de déprise agricole et autres.)
  • Des boisements en résineux à la périphérie de quelques boisements existants.

6. VERSION IMPRIMABLE

7. PHOTOTHEQUE

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