1.03 Cézallier

Ce texte est le résultat d’un agencement des choses dites par des paysagistes et leurs invités, tous embarqués dans une camionnette-voyageuse à travers l’Auvergne. Pour cet ensemble de paysages, il a été écrit à partir de tout ce qu’ils ont été capables de voir ensemble, durant les itinéraires n°11 et n°19 des ateliers mobiles des paysages qui se sont tenus les 21/07/2011 et 19/11/2011.

1. SITUATION

Du point de vue géologique, les monts du Cézallier correspondent à un enchevêtrement de coulées de basalte issues du volcan cantalien et des Monts Dore qui ont recouvert un socle plus ancien. De ces rencontres a résulté un vaste entablement, retouché par l’érosion glaciaire du quaternaire. Le relief général est celui d’un plateau bosselé, animé d’ondulations lâches et constitué d’une succession de creux et de bosses doucement arrondies, de points hauts et de points bas, les dénivelés pouvant tout de même atteindre 200 mètres.

Cet ensemble appartient à la famille de paysages : 1. Les hautes terres

Les unités de paysages qui composent cet ensemble : 1.03 A Massif du Luguet / 1.03 B Plateau de Landeyrat / 1.03C Plateau d’Allanche / 1.03 E Vallons de Marcenat / 1.03 D Plateau de la Jarrige / 1.03 F Plateau de la Godivelle / 1.03 G Plateau de Chassagne + 1.04 E Plateau d’Egliseneuve-d’Entraigues (Transition avec 1.04 Plateau d’Artense) et 1.05P Bois de la Pinatelle (Transition avec 1.05 Massif du Cantal)

2. GRANDES COMPOSANTES DES PAYSAGES

2.1 L’atmosphère du Cézallier.

Vallée herbeuse au coeur des terres d'estive de la Godivelle
La plus grande composante de l’ensemble du Cézallier est sans aucun doute son atmosphère très singulière de "désert vert d’altitude" que l’on pourrait rapprocher dans certains lieux d’une image des plateaux mongols ou écossais. Elle résulte très certainement de la combinaison de trois éléments : l’altitude et la rudesse du climat ; le caractère ondulé relativement uniforme de ces monts qui donne au ciel une présence très importante ; le désert vert d’été ou blanc d’hiver (faible présence des installations humaines, absence notoire de l’arbre…).

2.2 Une montagne d’estive privée.
L’altitude est de 1100 à 1300 mètres environ. La quasi totalité des plateaux est vouée aux estives. La montagne d’estive est privée. Elle appartient en grande partie à des exploitants agricoles qui ne sont pas originaires des lieux. Les propriétés sont très grandes en superficie : de cinquante à cent hectares. Ce sont des troupeaux de transhumance qui occupent ces estives. Ils les pâturent du mois de mai au mois d’octobre puis repartent d’où ils sont venus (Aveyron, Cantal…). Le 25 mai, à Allanche, a lieu "la fête des estives". Les gens se réunissent pour suivre les troupeaux qui se dirigent vers les estives.

2.3 Trois genres de prairies d’estives.

Ambiance brumeuse sur le plateau du Jolan
Les estives sont des pâtures. Les parcelles sont très grandes. Quand on s’approche des villages ou des bourgs, comme à Allanche, apparaissent des prairies de fauche de proximité qui viennent ponctuellement s’intercaler au sein des pâtures. Trois genres de prés constituent l’image des prairies d’estives : la prairie de fauche de proximité ; la pâture de proximité ; la pâture d’estive.

2.4 Les routes des vallées pénètrent sur les plateaux.
Si ailleurs, les vallées pouvaient potentiellement représenter, compte tenu de leur encaissement, des obstacles physiques aux déplacements, elles ont ici au contraire servi de support aux routes qui permettent d’accéder aux plateaux.

2.5 Les tourbières et zones humides omniprésentes.

Pâturages aux environs du bois de la Pinatelle
De nombreuses formes de surcreusements glaciaires ponctuent la surface des plateaux. Comblés par des sédiments glaciaires imperméables, ils ont donné naissance à de très nombreuses zones humides et tourbières aux apparences caractéristiques. Certains de ces paysages ont été bouleversés par l’exploitation de la tourbe. Au sein des tourbières en voie d’assèchement se développe, par reconquête naturelle, une végétation arbustive à base de saules et de bouleaux dont les feuillages offrent des tons de verts, plus argentés. L’ensemble de ces tourbières et zones humides fait l’objet d’un zonage Natura 2000 : les zones humides du nord-est Cantalien.

2.6 Présence rare et précieuse de l’arbre.
Dans le Cézallier, les parcelles sont de grande superficie, délimitées par des clôtures en barbelé et ponctuées par les barrières de contention. C’est seulement aux abords des villages ou en fond de vallons que subsiste quelquefois un réseau de haies ou des alignements d’arbres, qui s’effilochent et disparaissent très rapidement. L’arbre est extrêmement rare sur le territoire, au point de rendre sa présence d’autant plus perceptible et précieuse.

Secteur de pré-bois pâturé dans les bois de la Pinatelle

Quatre exemples de formes de présence de l’arbre : 1. la Pinatelle, 2. les bosquets de pins, 3. des alignements de frênes, 4. un alignement d’épicéas.

  1. Le bois de la Pinatelle.
    Le boisement le plus important et le plus emblématique est le bois de la Pinatelle, qui couvre la partie sud du Cézallier au contact de la vallée de l’Alagnon. Constitué majoritairement de pins sylvestres présents à l’état naturel, il est le massif forestier le plus important du plateau. Il apparaît comme une forêt aérée du fait de la faible densité du peuplement et de son sous bois peu fourni. La présence de clairières naturelles accentue cette impression d’ouverture. La pinède (environ cinq kilomètres sur cinq) est une grande enclave forestière au milieu du plateau. Elle a la particularité d’être pâture (pré-bois).
  2. Les bosquets isolés de pins.
    Sur certaines éminences, qui correspondent généralement à des points d’écoulement de lave ou à des lambeaux de coulées de basalte dégagés par l’érosion, des boisements constitués de résineux (pin sylvestre) jouent un rôle visuel particulièrement important dans ce territoire d’estives.
  3. Des alignements de frênes et hêtres.
    Avant d’arriver à Marcenat, un alignement de frênes et de hêtres de plus d’un kilomètre de long marque le bord de la route. A la sortie de Marcenat, de nouveau un long alignement de frênes se dresse le long de la route départementale 36.
  4. Un alignement d’épicéas.
    Le long de la voie ferrée vers Landeyrat, les agriculteurs ont planté des alignements d’épicéas (deux à trois rangées) qui servent à la fois d’abris pour les animaux et de pare-congères pour la ligne de train. L’effet de ligne sombre est très marquant dans ces paysages horizontaux de prairies rases.

2.7 Cinq signes plus ou moins perceptibles mais encore très présents des pratiques variées d’une économie rurale d’altitude : vaines pâtures, installation sur couderc, déplacement des fruitiers sauvages, potagers vivriers.

Potager à l'entrée du bourg d'Allanche
  1. Les "vaines pâtures".
    Les terrains sectionnaux, dans cette zone, sont des "pâturages communs". Ce sont en général des terrains où le sol est peu profond et que l’on ne peut pas faucher. Certains terrains étaient dits de vaine pâture. C’étaient les anciens saltus, réservés à ceux qui n’avaient pas de terre pour faire pâturer une ou deux bêtes, les chevaux par exemple. Ils ne font pas l’objet d’une gestion privée et sont en général, des endroits plutôt favorables à la biodiversité et plutôt en diminution.
  2. S’installer sur le couderc.
    Un couderc en Auvergne est un pré communal proche ou dans le village. Sur le couderc de la Boissonnière, quelqu’un cultive un potager individuel. Le motif est devenu rare de nos jours mais c’était, par le passé, une pratique courante. Elle est issue d’une ancienne coutume envers les plus pauvres à qui la possibilité était donnée de s’installer sur le couderc, sur la place publique. On pouvait lui construire un toit et il pouvait disposer d’un peu d’espace public pour faire un potager pour se nourrir.
  3. Le déplacement des fruitiers sauvages. On retrouve, dans des sites anciens du Moyen Age comme celui de la chapelle de Fortuniès au bord du plateau de Chalinargues, une présence élevée de fruitiers sauvages comme les pommiers, néfliers, pruniers… Elle est le résultat d’une forme d’aménagement aussi singulière que simple : les gens greffaient autour des habitations des fruitiers sauvages qu’ils trouvaient le long du parcours des bêtes qu’ils gardaient. Une simple connaissance de la plante et un simple petite geste suffisait à augmenter la présence utile de fruitiers sur un site. De même, une nappe de gaillets caille-lait (Gallium verum) y témoigne d’un rapport ancien entre les hommes et les plantes. La plante s’installait spontanément près des constructions et les habitants la protégeaient pour pallier aux pannes de présure.
  4. Les potagers vivriers encore exploités. Dans le bourg d’Allanche, des habitants cultivent des potagers très diversifiés en variétés. Allanche est un exemple de bourg isolé où la question de l’autonomie vivrière s’est toujours posée au point de générer un "trait culturel local" qui peut se lire encore dans la nature des jardins potagers qui s’y trouvent. La fonction du potager y est encore vivrière comme dans les endroits d’altitude où on vit encore toute l’année.

3. MOTIFS PAYSAGERS

3.1 Les blocs rocheux, les murets et les prés à cailloux.
Les nombreux blocs rocheux abandonnés par les glaciers au milieu des parcelles apportent une identité et des ambiances toutes particulières. Cette spécificité est accrue par la pauvreté des sols squelettiques, à l’origine d’une végétation composée de landes à genévriers, rare ailleurs. Cette forte présence de la pierre dans les paysages s’exprime également au travers des très nombreux murets de pierres sèches issues de l’épierrement des terres agricoles, qui délimitent les parcelles. En sortant du bois de la Pinatelle, sur la route départementale 23 en direction de Fortuniès, sur les versants d’un petit vallon, on peut voir un bel exemple de "bocage lithique", constitué de nombreux murets qui ont été construits après épierrement des champs. La quantité de murets indique la quantité de pierres retirées dans ces terrains caillouteux. Plus les terrains sont caillouteux, plus il y a de linéaire de murets montés, plus les parcelles sont exigües. Quand les prés sont encore couverts de pierres, "prés à cailloux", c’est qu’ils étaient la plupart du temps des terrains communaux.

3.2 Les pierriers.
Pierrier est le nom que l’on donne souvent aux éboulis dans les montagnes auvergnates. L’un des plus beaux exemples de pierrier est celui dit de la roche de Landeyrat (cf. Marlin C., Pernet A., Analyse et bilan de la politique des sites protégés dans le département du Cantal, Diren Auvergne, février 2007). A Landeyrat, l’éboulis, le pierrier, est protégé au titre de la politique des sites et des paysages de l’Etat. Une route le traverse. Une maison avait été construite au bord de la route dans le pierrier. Le bas de l’éboulis est recolonisé par une végétation pionnière de saules et de bouleaux. Au pied, une tourbière. Les zones humides alentours ont été drainées pour rendre les terrains exploitables en prairies. Dans l’éboulis, des traces d’habitats du Moyen-âge ont été découvertes. Le village de Landeyrat est construit à quelques centaines de mètres en face.

3.3 Les foirails et coudercs…
Un foirail est un emplacement qui était jadis réservé aux foires aux bêtes dans les villes et les villages. Chaque bourg important avait son foirail qui a eu un destin relativement différent selon les situations. Il devenu Place du Cézallier devant le lycée d’Allanche. Il est toujours sous une forme ancienne accueillant un jardin potager à la Boissonnière ou accueillant une grande foire annuelle en été à Brion… De manière générale, et contrairement à ce qui s’est passé dans d’autres régions d’Auvergne, les coudercs et foirails du Cézallier n’ont pas été transformés en espaces banals de place publique sur un modèle urbain importé d’ailleurs.

3.4 Les burons.
Les densités de population sur ces plateaux d’altitude situés à plus de mille mètres sont excessivement faibles. L’habitat se répartit sous forme de bourgs et de hameaux dispersés, le plus souvent en situation d’abri sous un repli de terrain ou sur le flanc d’un versant. En altitude, l’habitat permanent cède la place à de nombreux burons disséminés sur l’ensemble des plateaux et qui correspondent à l’habitat d’été des éleveurs dans lequel ils fabriquaient le fromage d’été. Ils se signalent dans le paysage par des arbres et un bâtiment simple, en pierre, souvent enfoncé dans la pente et au toit à double pentes en lauzes.

4. EXPERIENCES ET ENDROITS SINGULIERS

4.1 L’expérience du vide, de l’écart.
L’impression du "vide", de "l’écart" est une forme d’expérience type des Monts du Cézallier. Soumis à des conditions climatiques rigoureuses, les paysages offrent, en fonction des saisons, des ambiances contrastées, mais toujours placées sous le signe de la solitude et de l’immensité, qu’amplifient les variations des jeux de lumière que projettent les ciels nuageux. Le "désert blanc", noyé sous la neige succède au "désert vert", qu’animent au printemps et en été les touches colorées des différentes floraisons. Cette expérience de l’isolement s’illustre dans le choix d’implantation d’un monastère orthodoxe au bord de la zone centrale du Cézallier, la plus "vide". Le lac d’en haut à la Godivelle en hiver est un autre exemple parmi les nombreux endroits où la sensation du vide est fortement exacerbée.

4.2 La Réserve Naturelle Nationale de la Godivelle : le lac d’en haut et le lac d’en bas.
Le village de la Godivelle est positionné sur un léger versant pris entre deux lacs appelés le lac d’en Haut et le lac d’en Bas. Le lac d’en haut est un lac volcanique. Le lac d’en Bas est un lac glaciaire. L’atterrissement du lac d’en Bas a généré une zone humide de tourbière de grande superficie. La zone a été classée Réserve Naturelle Nationale. Un conservateur a été nommé. Il travaille en collaboration avec les agents du Parc Naturel Régional des Volcans d’Auvergne. Un plan de gestion des milieux de la réserve a été établi. Il est suivi par un comité de gestion.

4.3 Le signal du Luguet.
C’est le point culminant du Cézallier (1551m.).

4.4 Le sommet du Mont Chamaroux.
Le Mont Chamaroux près de Marcenat (1476m.), est un beau point de vue panoramique sur le Cézallier.

4.5 La cascade de Veyrines.
Sur la commune d’Allache, au milieu des estives à plus de mille mètres d’altitude, la cascade de Veyrines est plus large que haute. Son caractère énigmatique est accentué par la présence d’un site archéologique à proximité.

4.6 Le point de vue panoramique depuis la chapelle de Fortuniès.
La chapelle est perchée au bord du plateau de Chalinargues.

4.7 La foire de Brion.
L’atmosphère qui se dégage de la foire de Brion (commune de Compains) à 1200m. d’altitude donne une idée de la vie sur les hautes terres auvergnates.

4.8 Le village de Montgreleix.
Le village est à 1235 mètres d’altitude. C’est la commune la plus haute du Cantal. Elle peut être mise en correspondance avec les autres communes auvergnates les plus hautes comme Les Estables par exemple en Haute-Loire, sur le plateau du Mézenc à 1350 mètres. Les habitants y affrontent encore des conditions climatiques extrêmes difficiles à imaginer par les habitants des contrées plus basses et plus clémentes.

4.9 Le bourg de voyageurs de Marcenat.
Marcenat était un bourg de marchands de toile au 19ème siècle. Ses habitants voyageaient jusqu’en Hollande ou en Espagne. Les maisons dans le bourg sont des maisons "urbaines", assez grandes. Le bourg donne une impression d’opulence au milieu d’une sorte de désert.

4.10 Vélo-rail et "Gentiane express".
Il y a quinze ans, la ligne de chemin de fer de Neussargues à Riom-ès-Montagnes a été reconvertie en vélo-rail. Elle n’a pas été démontée et sert à faire découvrir le territoire aux visiteurs. Une partie est utilisée par un train touristique appelé "Gentiane express" qui emmène les touristes jusqu’à Bort-les-Orgues.

5. CE QUI A CHANGE OU EST EN TRAIN DE CHANGER

  • La désaffection du rail pour la transhumance au profit des camions.
    Le long de la route départementale 21, à proximité de Landeyrat, une gare avait été construite au beau milieu des estives, à l’écart de toute zone habitée. Elle a servi de gare pour vaches en transhumance. Les bétaillères les menaient jusqu’à cette gare d’altitude qui était un "noeud de transhumance" important. Il y a une vingtaine d’années, la ligne de train a été fermée et la gare désaffectée. Les camions ont remplacé le train pour amener les troupeaux en estive. Il a fallu aménager des chemins renforcés assez larges pour que les camions puissent accéder depuis les routes jusqu’aux estives et réorganiser les pistes pastorales en fonction de cette évolution de mode de déplacement des troupeaux : l’étalonnage des pistes a évolué des troupeaux aux camions.

6. VERSION IMPRIMABLE

7. PHOTOTHEQUE

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