1.01 Chaîne des Puys

Ce texte est le résultat d’un agencement des propos des paysagistes et de leurs invités, tous embarqués dans une camionnette-voyageuse à travers l’Auvergne. Pour cet ensemble de paysages, il a été écrit à partir de tout ce qu’ils ont été capables de voir ensemble, durant les itinéraires n°16, 17, 18 et 21 des ateliers mobiles des paysages qui se sont tenus les 25, 26 et 27/10/2011 et 31/01/2012.

1. SITUATION

« Alignés parallèlement à la faille de Limagne, les quelques quatre-vingts puys que comptent l’alignement volcanique de la chaîne volcanique s’étalent sur près de trente-deux kilomètres de long et quatre kilomètres de large » (source : site officiel de la candidature UNESCO / www.chainedespuys-failledelimagne.com) ; cet alignement s’étend suivant un axe nord-sud passant à quelques kilomètres à l’ouest de Clermont-Ferrand. La chaîne fait partie d’un ensemble à trois étages, comprenant les éléments suivants : 1. un plateau ancien (plateau des Dômes) en partie recouvert par les coulées volcaniques et qui s’établit généralement entre 800 et 900 mètres ; 2. les puys proprement dits qui jaillissent du plateau et dont l’altitude s’échelonne le plus souvent entre 1100 et 1200 mètres, largement dominés par le puy de Dôme (1465 mètres) ; 3. deux zones de dépression qui encadrent ces Hautes-terres ; à l’est, le plateau des Dômes s’effondre brusquement par des escarpements abrupts sur la Limagne (400 mètres d’altitude) ; à l’ouest, il s’abaisse graduellement vers la vallée de la Sioule, qui coule aux environs de 700 mètres d’altitude.

Cet ensemble appartient à la famille de paysages : 1. Les hautes terres

Les unités de paysage qui composent cet ensemble : 1.01 A Plateau d’Aurières et de Vernines / 1.01 B Plateau de Laschamp et d’Orcines / 1.01 C Puys égueulés / 1.01 D Puys de la Moréno / 1.01 E Cheires de Côme et de Mazayes / 1.01 F Bassin d’Olby / 1.01 G Plateau de St-Ours / 1.01 H Plateau de Manzat / 1.01 I Plateau de Paugnat / 1.01 J Plateau de Charbonnières-les-Vieilles / 1.01 K Puys du Traversin / 1.01 L Puy de la Nugère

2. GRANDES COMPOSANTES DES PAYSAGES

2.1 Un ensemble volcanique schématique et fascinant, à fort potentiel symbolique.

Sommet du puy de Dôme depuis le puy Pariou
Les émergences volcaniques qui constituent la Chaîne des Puys ont pour la plupart des formes très lisibles par tous. Ce sont des volcans récents, peu démantelés par l’érosion, dont, pour beaucoup, les profils émergent clairement du plateau granitique qui leur sert de socle. La simplicité formelle de l’ensemble a fait que l’on a pu lui apposer le caractère de "chaîne" (Chaîne des Puys) comme s’il s’agissait d’une véritable "chaîne de montagnes", malgré ses dimensions somme toute réduites. Une trentaine de kilomètres de long sur une dizaine de large avec, pour les sommets les plus visibles, une altitude comprise entre 1000 et 1200 mètres environ et un point culminant, un peu plus élevé, à 1465 mètres (puy de Dôme) en position centrale, suffisamment plus élevé et formellement plus massif pour concentrer et focaliser l’attention comme une sorte de "punctum" photographique. La géomorphologie de la Chaîne des Puys est en apparence relativement schématique, fascinante du fait même de ce schématisme. Les volcans qui s’étirent sur une ligne nord-sud composent une silhouette massive caractéristique et repérable à plusieurs dizaines de kilomètres. Il est donc aisé d’en faire un symbole, ce qu’elle n’a pas manqué de devenir au fil des siècles, soit par le biais du sommet du puy de Dôme (du monde antique jusqu’à aujourd’hui), soit comme c’est le cas aujourd’hui par l’ensemble paysager qu’elle constitue au bord de la faille de Limagne. L’ensemble de la Chaîne des Puys est une des « signatures » des paysages de la région Auvergne.

2.2 VUE = Valeur Universelle Exceptionnelle.
« Le projet d’inscription de la Chaîne des Puys et de la faille de Limagne sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO a été lancé à l’initiative du Conseil général du Puy-de-Dôme et construit conjointement par le Parc naturel régional des Volcans d’Auvergne (PNRVA) et les services de l’Etat, avec le soutien de la région Auvergne et de l’agglomération clermontoise. ??Il s’inscrit dans la continuité des actions de protection et de valorisation menées depuis 1977 : la création du PNRVA ; le classement de la Chaîne en 2000 au titre de la loi de 1930 sur la protection des monuments naturels et des sites ; et la labellisation Grand Site de France en 2008 pour le site du puy de Dôme. Pensé comme l’aboutissement de trente ans de gestion collective et durable de cet espace géologique exceptionnel, ce projet vise à mobiliser tous les acteurs locaux et la population afin de : 1. faire reconnaître la valeur patrimoniale et la signification universelle de ce site ; 2. concilier évolution sociale et économique et préservation des paysages classés ; 3. privilégier un développement local durable porté par un tourisme réfléchi ; 4. valoriser et développer la recherche scientifique nationale et internationale, sur un site majeur pour la volcanologie et la géologie. » (source : site internet de pré-candidature à l’Unesco du Conseil Général du Puy-de-Dôme).
Environ 60 % de la superficie du périmètre du site proposé au label Unesco est constitué du site classé de la Chaîne des Puys (13000 hectares environ). 80% du territoire Unesco est intégré au SCOT du Grand Clermont (Schéma de COhérence Territoriale). 98% du site est dans le Parc naturel régional des Volcans. Tout le monde est concerné par le projet qui peut générer de grandes retombées économiques pour toute une région. La labellisation Unesco du site d’Albi par exemple a généré une augmentation de fréquentation touristique de 40 %.
Pour accéder au label Unesco, la collectivité doit montrer dans son dossier de candidature, la Valeur Universelle Exceptionnelle (VUE) du site en question. Le concept de VUE développé par l’Unesco met l’accent sur le fait que chaque site élu doit avoir « une valeur pour tous les peuples de la terre ».
La VUE, en ce qui concerne le site de la Chaîne des Puys, repose sur deux critères : 1. représenter des phénomènes naturels ou des aires de beauté naturelle d’une importance esthétique exceptionnelle ; 2. être des exemples éminemment représentatifs des grands stades de l’histoire de la terre. L’ensemble Chaîne des Puys - faille de Limagne permet d’appréhender à petite échelle la question de l’émergence des formes terrestres et de la structuration des continents à travers unes succession de séquences durant plus de 350 millions d’années.
L’inscription à l’Unesco s’accompagne d’un plan de gestion dont l’objectif est de prévenir tout phénomène de dégradation qui pourrait toucher à l’intégrité des puys (cheminements, urbanisation à limiter…).

2.3 Discerner la nature des édifices volcaniques permet de saisir les différentes natures des espaces de la chaîne.

Zone humide sous Saint Pierre-le-Chastel
Les édifices volcaniques se sont mis en place à l’ère quaternaire et jusqu’à une période très récente (-6000 av. JC). Quatre grandes formes permettent de différencier clairement la nature des espaces que l’on peut rencontrer dans cet ensemble de paysages :
  • les cônes aux formes parfaites, alignés selon une direction nord-sud et qui constituent une silhouette caractéristique ;
  • les dômes (puy de Dôme, Sarcoui…) ;
  • les coulées volcaniques inversées (montagne de la Serre, plateau de Gergovie…) ;
  • les coulées récentes, non encore décapées par l’érosion. Elles forment de vastes espaces très singuliers appelés cheires entièrement recouverts de blocs disjoints (cheire de Côme, cheire d’Aydat…).

2.4 Un ensemble géologique qui sépare.

Horizon sur la Chaîne des Puys depuis la vallée de la Sioule
Il y a des ensembles géologiques "qui rassemblent", d’autres "qui séparent" ou "isolent"… Le Caldera du Mont Aso au Japon (concentration de pratiques paysagères et d’habitats) correspond au premier cas. La Chaîne des Puys (division nette en deux côtés), comme le massif du Cantal (division des vallées orientées de manière centrifuge), correspond au second cas. La Chaîne des Puys génère deux situations géographiques très différentes : celle qui correspond aux territoires qui se trouvent à l’est, c’est-à-dire proches des grandes agglomérations et de la plaine de Limagne ou de l’Allier ; et celle qui correspond aux territoires qui se trouvent à l’ouest, aux conditions hygrométriques, climatiques, démographiques… très différentes. Pour une grande partie de la population, concentrée sur la faille de Limagne à l’est, il y a un "devant" et un "derrière". Cette situation a induit et induit encore aujourd’hui, malgré la construction de l’Autoroute A89, des logiques territoriales très différentes. A la fin du 19ème siècle et au début du 20ème siècle par exemple, le développement du tourisme thermal sur la faille de Limagne a occupé, comme terrain d’excursion de proximité, tout le flanc est de la chaîne de volcans s’arrêtant sur la ligne de démarcation des sommets. La présence des terres riches de Limagne en contrebas des plateaux de la chaîne, des résurgences d’eau de la faille, des conditions favorables à la culture fruitière sur les versants de la faille et l’implantation de Clermont-Ferrand à une altitude relativement faible (environ 350 mètres en moyenne) ont contribué à l’exacerbation de ce contraste entre l’est et l’ouest. A l’ouest, les plateaux des Combrailles, situés en moyenne entre 600 et 1000 mètres d’altitude et essentiellement consacrés à l’élevage, ont un air de transition avec les plateaux du Limousin.

2.5 D’où l’importance paysagère des cols.
Les quatre grands cols de la Chaîne des Puys (col de la Nugère, col de la Moreno, Col de la Ventouse, col de Ceyssat) ont joué et jouent encore, du fait de cette organisation spatiale "binaire" de la chaîne, un rôle physique et symbolique très grand qui fait écho au rôle plus discret mais non moins important des vallons ou vallées qui ont permis de tout temps de franchir la faille de Limagne (vallée de la Tiretaine entre Royat et Fontanas, vallée de Sans Souci près de Châtel-Guyon…).

2.6 L’histoire forestière de la chaîne dont résultent trois types de forêts actuelles.

Ligne électrique franchissant la chaîne sur le plateau de Laschamp
L’apparence forestière des versants de la plupart des puys de la chaîne n’a pas toujours été telle qu’on peut la voir aujourd’hui. On peut décomposer sommairement l’histoire forestière récente de la chaîne (deux derniers siècles) en trois dynamiques plus ou moins parallèles qui correspondent aux trois types de forêts actuelles : 1. Les replantations poursuivies au 19ème siècle et poursuivies au 20ème ont profondément marqué les paysages : plantations faites par le Comte de Montlosier, ou sur des terrains communaux. Elles nous ont laissé aujourd’hui de remarquables massifs où le pin domine largement (exemple de la forêt de la cheire d’Aydat, de la forêts autour du château de Montlosier, du col des Goules…). 2. Mais bien souvent la forêt a évolué spontanément par suite de l’abandon des parcours. Il en résulte une forêt feuillue complexe, parfois mélangée de résineux (exemple de la forêt de la Cheire de Côme, des pentes des cônes volcaniques…). 3. Par contre, des plantations récentes résineuses apportent une nouvelle organisation des perceptions et des paysages et notamment une fermeture depuis les axes routiers (par exemple sous le puy de Dôme) et une perte relative de lisibilité de la forme des puys.

2.7 La présence singulière de l’eau en terre volcanique a eu des conséquences sur les modes d’installation et les activités humaines.
Une caractéristique importante du territoire volcanique de la Chaîne des Puys est que l’eau s’y infiltre toujours sans s’y écouler en surface. Il n’ y a pas de sources, ni de cours d’eau apparents dans la partie centrale de la chaîne. L’eau réapparaît à la périphérie de l’ensemble, ressortant sur le socle granitique. Abondante à sa sortie, elle est très pure car filtrée lors de son parcours dans les roches volcaniques. Cette particularité a induit et induit toujours des modes d’installation et d’utilisation de l’espace. Le terroir y est difficilement exploitable par l’agriculture moderne. Les zones d’habitat ont été rejetées en grande partie dans les zones périphériques ou sur les plateaux granitiques. Les cultures ont été installées sur les failles. Les sources d’eau de grande qualité ont été exploitées de différentes manières à leurs résurgences, notamment pour le thermalisme et l’embouteillage (cf. le cas de Volvic : ensemble de paysages des Coteaux et faille de Limagne / 3.04).

2.8 Conséquences visibles de l’exploitation des ressources du sous-sol.
Des formes d’exploitation du sous-sol ont marqué ponctuellement l’apparence de certains sites et, plus largement, participent de l’image globale de la chaîne. Certains cônes volcaniques ont été exploités en carrière de pouzzolane, ces exploitations sont aujourd’hui limitées (la Toupe et Ténusset). Elles ont laissé des fronts de taille imposants (puy de la Vache, de Lassolas, Gravenoire) où la végétation spontanée se réinstalle difficilement. Des exploitations de trachyandésite ont donné la pierre de Volvic, pierre qui forme une véritable référence constructive dans l’ensemble de la région et même au-delà. De nombreux bâtiments ou petits édifices sont construits partiellement ou entièrement en pierre de Volvic très facilement identifiable de par sa couleur gris anthracite.
Ces carrières constituent des paysages particuliers et apportent des indices utiles pour comprendre la formation de cet ensemble géologique singulier.

2.9 Les paysages se sont radicalement transformés en moins de cinquante ans.
En moins de cinquante ans, une grande superficie de pâturages et des communaux a été abandonnée. L’élevage ovin traditionnel a été délaissé au profit des vaches laitières. Ce glissement d’une pratique d’élevage à une autre a eu pour conséquence directe l’abandon généralisé de l’entretien des pâtures des pentes. Ces dernières se sont reboisées naturellement ou ont été reboisées par plantation. Aujourd’hui, le cheptel ovin s’accroît de nouveau, favorisé par les préoccupations de gestion des milieux et des paysages, dans le but de rétablir un équilibre entre la présence forestière et celle de milieux plus ouverts.

2.10 « Le puy de Dôme / Site en travaux / Accès au sommet / Bientôt le train » : la conquête du sommet.

Parking d'accueil du panoramique des Dômes (lors de sa construction)
Le nombre de constructions (temple de Mercure, antenne de télécommunication, observatoire, restaurant, cheminements…) et le degré d’artificialisation du sommet du puy de Dôme montrent à quel point cette petite montagne un peu plus élevée que ses consoeurs a fasciné et focalisé l’intérêt des humains au cours de l’histoire, voire même de la préhistoire, jusqu’à aujourd’hui où il fait l’objet de grands travaux d’aménagement pour favoriser l’accès au sommet des visiteurs. Ces travaux d’aménagement sont après ceux du Mont Saint-Michel les plus importants réalisés en site classé en France. Ils s’inscrivent dans le cadre de l’Opération Grand Site qui vise à mettre en valeur les qualités de ce site face à une surfréquentation qui peut parfois poser problème.

Mercredi 26 Octobre 2011 : journal de l’atelier mobile des paysages d’Auvergne.
Dans le vallon d’Enval, un panneau routier temporaire jaune au bord de la route qui mène au pied du puy de Dôme indique : « Le puy de Dôme / Site en travaux / Accès au sommet / Bientôt le train ». Une maison de site a été construite dans la plaine d’Enval au pied du puy. Elle servira d’accueil pour les visiteurs et de station de départ du train à crémaillère. Les travaux du train à crémaillère qui permet d’accéder au sommet se sont achevés en 2012 et ont remplacé l’accès par la route et les bus qui ont assuré le service jusque là pendant des années.
Le bâtiment est de grande dimension. Le projet gagnant du concours d’architecture proposait un grand bâtiment de verre. Il s’est opacifié sous l’avis des différents intervenants du projet de mise en valeur du Grand Site. Il ressemble aujourd’hui plus à une grande ferme de montagne qu’à une serre comme initialement. Le quai du train est construit en bois, accolé au deuxième niveau de la maison de site. D’autres bâtiments de maintenance du train, de grande longueur, doivent être construits.
Un très grand parking de mille places a été aménagé légèrement au-dessus de la maison de site, à proximité. Les allées du parking suivent les lignes de niveau. Entre chaque bande de places, des fossés plantés d’arbres (appelés noues) permettent la récupération de toutes les eaux. Les alignements d’arbres réduiront dans l’avenir la prégnance de la nappe de bitume depuis le sommet. Un cheminement piéton bordé de murets permet la traversée en promenade du parking. L’ancien parking du site, plus proche du pied de la montagne, est réhabilité pour les bus de visiteurs. Il avait été construit en forme de « poches » d’échelle relativement petite dans la forêt de bouleaux et de conifères.
La raison du choix d’implantation de la maison de site et de son parking est paysagère. Selon le paysagiste planificateur, « l’emplacement correspond au point de vue le plus théâtral du puy de Dôme ». De là, on aperçoit l’ensemble du puy de Dôme sous l’angle de sa plus schématique silhouette.
L’ancienne route d’accès au sommet a subi de grandes modifications : une voie sert au train à crémaillère, une autre sert de voie de secours pour les pompiers. Le sommet fait aussi l’objet de grands travaux d’aménagement : gare d’arrivée du train, etc.

2.11 Le sommet du puy de Dôme : un dispositif rare de vision atmosphérique et fantasmatique.
L’expérience de vision du sommet du puy de Dôme est très singulière. L’édition du Guide Vert de 1958 en fait la description suivante qui, par ses petits excès, montre bien à quel point le dispositif de vision de cette montagne est singulier et peut faire l’objet de fantasmes :
« Le panorama. Au nord et au sud, sur environ trente kilomètres, s’alignent une soixantaine de volcans éteints qui forment les monts Dômes, merveilleux musée de formes volcaniques, paysage lunaire unique en France et peut-être dans le monde […] La vue s’étend sur onze départements, la huitième partie de la France, et peut aller, en de rares occasions, jusqu’à trois cents kilomètres. La visibilité varie presque d’une minute à l’autre, suivant le jeu des nuages et de la brume. Les puys sont couverts tantôt de gazon ou de landes, tantôt de futaies de résineux ou de taillis de coudriers. La chaîne même est inhabitée, car l’eau qui s’infiltre à travers les roches volcaniques fait complètement défaut. L’été, les troupeaux du plateau vont paître sur les puys. Faute d’eau, ils rentrent tous les soirs à l’étable. »
« La féerie du couchant. C’est au coucher du soleil que le spectacle est le plus grandiose. Des trainées de feu passent entre les cônes. L’ombre de la montagne est projetée dans l’est ; elle couvre d’abord le plateau d’Orcines, atteint brusquement Clermont, puis envahit peu à peu la plaine : son bord extrême va jusqu’à Thiers. Une telle féerie exalte l’esprit : l’anthologie du puy de Dôme déborde de lyrisme. »

2.12 La carte "géopolitique" complexe de l’ensemble de paysages.
Au caractère binaire de ce territoire qui induit des différences socio-économiques très claires entre un "devant" et un "derrière" selon que l’on se trouve d’un côté ou de l’autre de la chaîne, se superpose une forme de complexité liée aux multiples démarcations territoriales invisibles qui constituent la carte "géopolitique" locale actuelle de la Chaîne des Puys : sa proximité avec l’agglomération de Clermont-Ferrand (appartenance au territoire du SCOT du Grand-Clermont) ; son appartenance au Parc Naturel régional des Volcans d’Auvergne (Schéma paysager, plan et charte de Parc) ; son caractère identifié de paysage exceptionnel emblématique non seulement au niveau régional mais aussi au niveau national qui a mené l’Etat à protéger certains sites de la chaîne puis la chaîne entière dans différents périmètres de protection au cours du temps (site classé des puys de la Vache et de Lassolas, site classé du sommet du puy de Dôme, site inscrit du Gour de Tazenat, site inscrit du lac d’Aydat, site inscrit de la Chaîne des Puys puis site classé de la Chaîne des Puys), et qui a permis la mise en place d’une OGS (Opération Grand Site) et le projet de site Unesco… Malgré son apparente simplicité visuelle, la Chaîne des Puys fait partie des ensembles de paysages les plus complexes en terme de politique locale en Auvergne. C’est aussi un exemple d’emboitement de dispositifs de protection, de labellisation et de développement.

2.13 Une infrastructure naturelle de loisir aux portes de l’agglomération clermontoise.

Décollage en parapente depuis le sommet du puy de Dôme
Les grandes agglomérations françaises qui bénéficient de la proximité immédiate d’une telle "infrastructure naturelle" ne sont pas légions. Elle fait de Clermont-Ferrand une agglomération très singulière d’un point de vue paysager, le puy de Dôme pouvant être apparenté à une sorte de Mont-Fuji accompagnant la vie des Clermontois au quotidien, qui y sont très attachés.

3. MOTIFS PAYSAGERS

3.1 Des puys en forme de dôme et des puys en forme de cône.
Les formes volcaniques récentes des puys sont très lisibles. La quantité et le relatif alignement de dômes comme celui du puy de Dôme et de cônes comme ceux du puy de Côme et du Pariou (une soixantaine environ) génèrent la présence permanente d’un grand motif de paysage de nature géologique.
3.2 Les clairières.
Depuis le sommet du puy de Dôme, on peut facilement observer la présence de clairières disséminées dans la forêt qui recouvre les versants et les bases de la Chaîne des Puys. Ces clairières de prairies constituent l’un des motifs paysagers plus ordinaires de l’ensemble de paysages, résultat direct d’une pratique de gestion.

4. EXPERIENCES ET ENDROITS SINGULIERS

4.1 L’écosymbole depuis des siècles, le point de mire auvergnat par excellence.
Les vues sur le puy de Dôme et la Chaîne des Puys sont très nombreuses depuis une bonne partie de l’Auvergne. Exemples de vues lointaines du puy de Dôme : depuis le belvédère de la sortie 26 de l’A89 ; depuis les estives du lac Servière dans le massif du Sancy ; depuis la route départementale 983 ; depuis le sommet du Sancy ; depuis le plateau de Gergovie ; depuis les rues de Clermont-Ferrand ; depuis Thiers ; depuis les balcons du Forez ; depuis la route départementale 912 entre Arvant et l’Autoroute A75 en Haute-Loire… L’omniprésence visuelle de cette montagne dans la vie ordinaire des habitants et son histoire en font l’un des écosymboles les plus puissants pour les Auvergnats, à l’instar du Mont Fuji pour les Japonais (cf. Marlin C., Pernet A., Analyse et bilan de la politique des sites protégés dans le département du Puy-de-Dôme, Diren Auvergne, 2009). C’est un repère permanent à l’aspect variable au fil des saisons et des intempéries qui accompagne le quotidien des habitants de ces contrées.

4.2 L’expérience de la mer de nuage depuis le sommet des puys.
Parfois, la plaine de Limagne et les Combrailles disparaissent sous la brume et les sommets de la chaîne apparaissent comme des émergences, îles flottantes au-dessus de la mer de nuages. Le phénomène se produit surtout à l’automne. Il est à rapprocher d’un autre phénomène qui est celui de l’inversion de température qui advient parfois entre le sommet des puys et la plaine de Clermont-Ferrand. En hiver, il peut parfois geler à Clermont-Ferrand et faire relativement doux au sommet du puy de Dôme.

4.3 Rare expérience de "clairière".
La route départementale 559 en direction de Chanat-la-Mouteyre, au pied du puy de Côme permet de traverser la hêtraie-pessière dense de la Chaîne des Puys. L’arrivée dans une sorte de très grande "clairière" de prairies ouvertes, où pâturent les vaches, permet d’apprécier les flancs boisés géométriques du puy de Côme. Les haies qui délimitaient les parcelles de prairie ont disparu à la suite d’un remembrement. La clairière a résisté à la forêt d’exploitation. Quelques arbres reliques sont soit isolés, soit alignés par trois ou quatre au milieu des prés. La grande surface de cette clairière de prairies plates et dénudées et sa relative rareté quand on traverse aujourd’hui la chaîne, la manière dont elle permet une expérience visuelle entière et dégagée du volcan, en font un espace très singulier.

4.4 Les lacs d’origine volcanique de la Cassière et d’Aydat et le Gour de Tazenat.
Les deux lacs de barrages volcaniques, le lac d’Aydat et le lac de la Cassière, sont liés par ce qui les sépare : la coulée volcanique, dite Cheire d’Aydat, provenant des puys de Lassolas et de la Vache. Les « binômes » de lacs sont suffisamment rares pour être soulignés. Celui-ci s’apparente ainsi au « faux binôme » de La Godivelle : le lac d’en Haut et le lac d’en Bas (cf. Marlin C., Pernet A., Analyse et bilan de la politique des sites protégés dans le département du Puy-de-Dôme, Diren Auvergne, 2009).

4.5 Le camp du « maquis des cheires ».
Au bord de la petite route qui va de Pontgibaud à Bannières, à l’endroit où elle croise la voie de desserte du château de Tournebise, un chemin, perpendiculaire à la route, mène à l’orée de la forêt qui recouvre la cheire de Tournebise. En entrant dans la forêt, des amas de pierres témoignent d’une installation humaine ancienne. C’est l’emplacement du camp du maquis des cheires, qui a servi pendant la deuxième guerre mondiale de « camp de relais » pour de jeunes résistants avant qu’ils ne soient dirigés vers le Cantal (grand maquis du Mont Mouchet, Chaudes-Aigues, Ruynes-en-Margeride…) Les pierres de la cheire ont servi à construire de petits habitats dont les ruines ont été recouvertes par les mousses et les lichens. Des cavités naturelles dans la cheire, ne décongelant pas en été, ont servi à la conservation des aliments. La lisière d’arbres a servi au camouflage de véhicules… Fait curieux : l’endroit est le site d’une double installation. En effet, le camp du maquis a été établi à deux mille ans d’intervalle du camp dit de Chazaloux, cité mystérieuse de soixante-dix caves… Les jeunes maquisards auraient utilisé les pierres déjà utilisées par leurs prédécesseurs.

4.6 Le centre d’expérimentation de l’INRA : terrains d’expérimentation sur l’herbe et "vaches à hublots".
Sur la route départementale 90 vers Saint-Genès-Campanelle, le long de la route, de vastes parcelles ouvertes sur des terrains plats ont été plantées en damier. Des carrés de plantations alignés sur des bandes parallèles. L’INRA (Institut National de la Recherche Agronomique) y fait ses expérimentations sur l’herbe. Les cultures expérimentales bien rangées font penser à un grand potager de "jardin à la française". Des haies de feuillus tirées au cordeau servent à fabriquer des conditions expérimentales de pousse particulières. Un peu plus loin, le complexe de recherche de l’INRA a la même apparence que des installations industrielles à la campagne. Les chercheurs de l’unité de l’INRA de Theix font notamment des recherches pour analyser la digestion et les procédés de fermentation dans l’estomac des ruminants afin de réduire les rejets de méthane de ces derniers. Pour les besoins de l’observation, ils ont percé la peau des vaches et l’ont remplacée par un « hublot » en plastique, qui rend possible des prélèvements directs d’échantillons dans le système digestif de l’animal. De telles vaches de laboratoire sont appelées : « vaches à hublot ».

4.7 L’usine laitière de Theix.
Sur la route nationale 89, dans la "campagne", au rond-point de Theix, une grande usine, hangars métalliques de zone industrielle, a été construite. Elle est spécialisée dans la fabrication de lait de consommation, de crème et de jus de fruit UHT. Son activité principale est le conditionnement de lait de montagne.

4.8 Le Rond-Point de La-Font-de-l’Arbre.
A la sortie du bourg de Fontanas et de La-Font-de-l’Arbre, en venant de la faille de Limagne, le puy de Dôme apparaît subitement. C’est un point stratégique, où commence l’expérience du puy de Dôme. Au même endroit, un assemblage de constructions et d’aménagements plus ou moins récents. Un grand rond-point a été aménagé pour rendre plus sûr le carrefour des routes départementales 941a et 68 venant de Fontanas et permettre l’accès au site du puy de Dôme. Les travaux ont été réalisés après l’intégration du site dans le réseau des Grands Sites de France en 2008. Après le rond-point en direction du site, la route n’a été élargie que très légèrement de manière à "conserver un esprit route de montagne" et mettre le visiteur en situation. Dans l’angle aigu généré par la rencontre entre les deux routes, un grand parking en forme d’esplanade rectangulaire a été bitumé sans marquage au sol. Aux abords du parking mais séparé de celui-ci par une petite voie et un muret, a été construit, il y a plus longtemps, un petit "complexe de vente" destiné particulièrement aux touristes : le Village Auvergnat. Une vieille pancarte indique : « BAR RESTAURANT, Produits régionaux, Cave à fromages, Souvenirs Coutellerie ». Un espace de prairie a été laissé vide entre le parking et le rond-point. Quelques arbres y ont été plantés alignés, parallèlement à la route. La station service en face du parking est en vente. L’espace boutique vitré sert de jardin d’hiver. Dans le projet général de mise en valeur du site du puy de Dôme, ce rond-point est un endroit stratégique. Aujourd’hui, en arrivant de ce côté-là, la montagne apparaît dans un univers routier. La ligne haute tension qui traverse la zone et la présence du relais EDF qu’elle rejoint à quelques mètres accentue l’effet d’un univers qui s’apparente plus au périurbain qu’à un espace de montagne. L’endroit a été identifié comme « point noir » et le parking va être « retravaillé » par les services du Conseil général. L’idée d’enfouir les lignes a été évoquée mais la proximité du poste relais semble être une contrainte.

5. CE QUI A CHANGE OU EST EN TRAIN DE CHANGER

  • L’abandon des pratiques de parcours.
    L’abandon des pratiques de parcours avec des troupeaux gardés a considérablement amoindri l’entretien des espaces non forestiers encore ouverts aujourd’hui. De grands espaces ont été reconquis par un taillis spontané de feuillus. Pour comprendre la dynamique pastorale sur la chaîne des Puys, il faut se référer aux écrits de l’agronome Yves Michelin (Michelin Y., Les jardins de Vulcain ; paysages d’hier, d’aujourd’hui et de demain dans la chaîne des Puys du Massif Central français, Msh Paris, 1995).
  • Spécialisation agricole.
    Les contraintes économiques ont conduit les agriculteurs à concentrer leurs efforts sur une rentabilité accrue des terres les meilleures et à abandonner celles qui ont un moindre intérêt, où l’on assiste à une progression de la friche. La spécialisation vers un système laitier et la disparition des cultures de céréales au profit d’un système intégré d’achat extérieur d’aliment a provoqué la disparition des banquettes de culture. La diminution du nombre d’exploitations, l’accroissement des troupeaux et de la taille du matériel agricole ont conduit une augmentation de la surface des parcelles et à la destruction des haies et des chemins anciens. Les petites parcelles, satisfaisantes pour des troupeaux de vingt vaches laitières, devenaient difficiles à gérer dès lors que le troupeau atteignait cinquante têtes de bétail. Dans la plupart des cas, seules les haies mitoyennes entre deux exploitants ont été maintenues.
  • L’autoroute qui longe la partie nord de la chaîne.
    L’autoroute A89 a généré un ensemble de conséquences territoriales propres à l’apparition de ce genre d’infrastructure. Au-delà des effets positifs qui ont motivé sa construction, elle a eu des effets indirects qui génèrent de grandes mutations dans le territoire.
  • Développement de l’urbanisation.
    La proximité de l’agglomération clermontoise génère de fortes poussées d’urbanisation qui s’expriment par des extensions bâties autour des villages ou des opérations de réhabilitation du bâti ancien : diverses formes de développement dont certaines sont à tel point présentes qu’elles sont devenues des motifs paysagers caractéristiques de cet ensemble de paysages.
    • Logique SRU et logique ancienne de l’habitat.
      Deux cas de maisons individuelles construites récemment à Laschamp traduisent de façon schématique deux logiques d’urbanisation qui s’opposent aujourd’hui : 1. l’une a été bâtie au niveau du panneau d’entrée ou de sortie de Laschamp, très à l’écart du bourg, sur un terrain agricole isolé, elle a pour limite des plantations de thuyas et d’épicéas ; 2. une autre plus récente l’a été en limite des autres maisons du bourg, à quelques pas de l’église dans le prolongement de l’urbanisation existante, elle a pour limite les maisons anciennes en pierre du village.
      La première relève d’un modèle de développement qui a été à l’origine d’un concept négatif récurrent dans les années 1980/1990 : « le mitage » de l’espace rural. Il s’accompagne souvent d’un arsenal d’équipements paysagers comme les haies de thuyas censées jouer deux rôles : préserver la construction de la vue dans un espace en général isolé et dégagé ; par la même occasion « intégrer » la construction « dans le paysage ». Ce motif paysager s’est largement répandu de 1980 à 2000.
      La deuxième, qui contraste avec la première, relève de la logique de développement de bourg induite par la loi Solidarité Renouvellement Urbain (SRU) de 2000 qui pousse les collectivités à « réduire la consommation des espaces non urbanisés et la périurbanisation en favorisant la densification raisonnée des espaces déjà urbanisés ». Ceci dans le cadre « d’une démarche de développement durable ». La solution apportée se résume la plupart du temps à réaliser les nouvelles constructions à proximité et dans le prolongement direct des anciennes pour éviter un éparpillement du bâti. Cette logique d’urbanisation est en train de devenir plus fréquente.
      Le développement de l’urbanisation, schématisé par ces deux cas peu éloignés et actuellement très répandus, est une problématique mise en avant depuis longtemps par le Parc Naturel Régional des Volcans, qui redouble d’actualité avec la candidature du site de la Chaîne des Puys et de la faille de Limagne à l’inscription Unesco. Ceci dans la mesure où la majorité du développement récent de l’habitat se situe en première ligne visible sur le plateau qui sépare la faille des sommets principaux.
    • Une juxtaposition d’éléments qui illustre un état d’évolution actuel de ces territoires.
      (Depuis la route départementale 778, en direction de Fontfreyde.) Sur les pentes basses d’un petit relief recouvert d’une forêt de conifères, des maisons viennent d’être construites et d’autres sont en construction. Une douzaine de maisons neuves sont visibles depuis la route. Elles ont été alignées plus ou moins sur une petite ligne de crête. La petite route de desserte d’un bâtiment agricole a servi de point d’ancrage. Au-dessus, la forêt de conifères est entrecoupée de prés pâturés par un troupeau de moutons. En-dessous, des prairies sont plus ou moins quadrillées de manière hétérogène et entrecoupées par des haies, des bosquets, des reliques d’alignements de haies ou des parcelles en friche… La juxtaposition de ces éléments : implantation d’habitat en série, petit sommet recouvert de conifères, interstices de prairies au niveau de la forêt pâturées par les moutons, prairies ouvertes en partie basse décomposées par des reliques de présence d’un système de haies de feuillus, quelques parcelles en friche… est une illustration d’un état d’évolution actuel de ces territoires.

6. VERSION IMPRIMABLE

7. PHOTOTHEQUE

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